Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

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HISTOIRE DES AVENTURIERS.

obligé de le casser et de le réduire au moins d'espace qu'il fût possible, afin qu'on pût l'emporter plus aisément. Après cela, Morgan fit savoir aux prisonniers qu'il avait le dessein de partir incessamment et que chacun songeât à payer sa rançon ou qu'il les emmènerait avec lui. A ces menaces, il n ' y eut personne qui ne tremblât, personne qui n'écrivît,

l'un à son père, l'autre à son frère,

tous enfin à leurs amis, pour être promptement délivrés. Alors, Morgan apprit que le président de Panama, D o m Juan Perez de Gusman, rassemblait son m o n d e , qu'il avait pris le bourg de Cruz où il s'était retranché et que là, il se préparait à s'opposer à son passage. On détacha un parti de cent cinquante h o m m e s pour savoir la vérité, avec ordre d'aller à Cruz et même jusqu'à Chagre, et de faire venir les canots afin d'embarquer le pillage. Ce parti ne fut pas longtemps à revenir. Il rapporta qu'il n'avait rien vu et que des gens qu'il avait pris et interrogés sur ce sujet n'avaient rien dit, qu'il était cependant vrai que le président avait voulu rassembler son m o n d e et m ê m e mandé du secours de Carthagène, mais qu'il n'avait pu trouver personne qui voulût le seconder. Ils ajoutèrent que les Espagnols avaient eu une telle peur lorsqu'ils virent défaire en si peu de temps leur cavalerie à la Savane, qu'ils fuyaient sans s'arrêter, qu'ils ne se fiaient m ê m e pas les uns aux autres et que, lorsqu'ils s'entrevoyaient de loin, croyant apercevoir des Français et des Anglais, ils fuyaient encore de plus belle. Morgan avait attendu quatre jours la rançon des prisonniers, lorsqu'ennuyé d'attendre, il résolut de partir. Dès le matin, il fit charger l'argent sur des mulets, enclouer le canon et rompre les culasses, de manière qu'on ne pût plus s'en servir. Après q u o i , il mit son armée en ordre, une partie devant, l'autre derrière et, au milieu, les prisonniers au nombre de cinq à six cents, tant h o m m e s que femmes et enfants ; et cela fait, il fallut partir. A la vérité, c'était un spectacle touchant ; ils se regardaient tristement les uns les autres sans rien dire ; on n'entendait que des cris et des gémissements. Ceux-ci pleuraient un frère, ceux-là une femme, qu'ils quittaient, et tous leur patrie qu'ils abandonnaient, car ils croyaient que Morgan les emmenait à la Jamaïque. Le soir, Morgan fit camper son


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