Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

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MARCHE

SUR

PANAMA.

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qui pouvaient contenir quatre cents h o m m e s . C'était exactement une forte palissade en forme de demi-lune,

dont les pieux étaient formés

d'arbres entiers et fort gros. En partant ils avaient emporté leurs vivres et brûlé ce qu'ils n'avaient pu emporter. On trouva quelques canastres, qui sont des coffres de cuir qui servirent beaucoup à ceux qui s'en saisirent les premiers, car ils les coupèrent en pièces afin de les m a n g e r ;

mais ils n'eurent pas le

temps de les préparer, étant obligés de suivre leur route. Morgan, voyant qu'il ne trouvait point de vivres, avança tant qu'il put dans l'espérance d'en trouver pour lui et pour ses gens. Ils marchèrent le reste du j o u r et arrivèrent le soir à Torna Muni, où ils rencontrèrent encore une embuscade, mais abandonnée c o m m e l'autre. Ces deux e m buscades leur avaient donné une fausse j o i e , au lieu de fausse a l a r m e ; car ils n'aspiraient qu'à trouver de la résistance. Ayant d o n c passé outre, ils

avancèrent

dans

le bois plus qu'ils

n'avaient fait, et suivirent moins la rivière où ils ne trouvaient pas de vivres;mais ce fut en vain, car en quelque lieu que ce fût où il y avait la moindre chose, les Espagnols détruisaient tout, de peur que les aventuriers n'en profitassent. Ils croyaient les obliger par là à retourner à leurs vaisseaux : ce qui leur aurait été bien inutile, puisqu'ils n'avaient pas plus de vivres d'un côté que de l'autre. Il fallut néanmoins se reposer; car, la nuit étant venue, on ne pouvait plus marcher dans le bois. Ceux qui avaient encore quelques morceaux de canastre soupèrent, mais ceux qui n'en avaient point ne mangèrent rien. Ces canastres ne sont pas de cuir t a n n é ; ce sont des peaux de bœuf séchées, et on en fait ces canastres qui ressemblent à nos mannequins. Ceux qui ont toujours vécu de pain à leur aise ne croiraient pas qu on pût

manger du cuir et seront curieux de savoir comment

on

l'accommode pour le manger. Je dirai donc que nos aventuriers le mettaient tremper dans l'eau, le battaient entre deux pierres et, après en avoir gratté le poil avec leurs couteaux, le mettaient rôtir sur le feu et l'avalaient haché en petits m o r ceaux. Je puis assurer qu'un h o m m e pourrait vivre de cela, mais j'ai peine à croire qu'il en devînt bien gras.


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