HISTOIRE DES AVENTURIERS.
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Prince, on les porte à la Havane, qui est la ville capitale de cette île, afin d'être embarqués pour l'Espagne, où ils passent dans toutes les autres contrées de l'Europe. Le long de cette même côte, on trouve le bourg de Saint-Esprit et la petite ville de la Trinité, qui a un. assez beau port, fort accessible et très c o m m o d e pour les navires. Tout le trafic du bourg et de cette ville ne consiste qu'en tabac, que l'on transporte en tous les endroits des Indes et même en Espagne, où on le met en poudre. C'est ce bon tabac qu'on a par toute l'Europe, et qu'on n o m m e tabac de Séville. Dans l'Amérique on en use fort peu en poudre, mais on fume beauc o u p . Des feuilles de tabac qui ne sont point filées, on fait de petits boulets que les Espagnols n o m m e n t gigarros,
et qui se fument sans pipe.
A dix ou douze lieues de la Trinité, il y a un port, n o m m é par les Espagnols le golfe de Xagua et par les Français le Grand P o r t . J'avoue que jamais j e n'en ai vu un si beau ni si c o m m o d e .
Son
entrée est
c o m m e un canal de la portée d'un canon de trois livres de balle, sa largeur d'une portée de pistolet. Ce canal est bordé de rochers, aussi égaux entre eux que le seraient des murailles faites exprès, ce qui forme une espèce de quai des deux côtés. Il y a assez de profondeur pour faire entrer les plus grands navires. A u x environs du port, les Espagnols ont des parcs, où ils nourrissent des porcs ; ils n o m m e n t ces lieux coral; Ils ont ordinairement un paysan avec sa famille pour gouverner ce coral. qui consiste en trois ou quatre grands parcs, faits de certains pieux de l'arbre nommé
monbain, lesquels, étant plantés e n t e r r e , prennent aussi-
tôt racine, c o m m e les saules en Europe. D e cette manière, ils font des palissades, qui par succession de temps deviennent
de grands arbres.
Leurs porcs ne leur coûtent rien à nourrir ; car ils n'établissent leurs coraux qu'en des lieux où il se trouve quantité de palmistes, lataniers, brignoliers,
cormiers,
mon bains,
abricotiers,
genipayers, acomas et
plusieurs autres. Ces arbres, dont les uns cessent de fleurir quand les autres commencent, produisent, pendant tout le cours de l'année, des semences de toute espèce, dont les porcs vivent ; de sorte que celui qui gouverne le coral n'a autre chose à faire que de laisser aller les porcs le matin, il les rappelle le soir, et ceux-ci ne manquent jamais de revenir.