Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

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LE CAPITAINE GRAMMONT.

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Le capitaine Grammont les commandait alors, parce que Van Horn, à sa mort, lui avait laissé le commandement de son vaisseau, en attendant que son fils pût le prendre. Grammont, outré de la perte de Van Horn qu'il aimait et qu'il estimait, laissa échapper dans le premier m o u vement de sa douleur quelque mot contre Laurent. Un aventurier, ami de celui-ci, se jeta à la nage pour venir le lui rapporter. Prévoyant que les aventuriers allaient, sous prétexte de cet incident, prendre parti les uns contre les autres et s'entre-déchirer,

Grammont

appareilla, disant qu'il était plus à propos de réserver tant de braves gens pour défaire leurs ennemis c o m m u n s . Bref, il ne songea plus qu'à partir avec tous ses gens, chargés du butin qu'ils avaient fait à l'expédition de la Vera-Cruz. S'étant muni de quelques rafraîchissements à la Caye Mohere, ou « Cage-à-femmes » , ainsi nommée à cause que les Espagnols, au c o m mencement de la conquête des Indes, y laissaient leurs femmes pour suivre leurs ennemis, il mit à la voile et traita fort honnêtement le capitaine espagnol qui commandait le vaisseau chargé de farine, dont le hasard l'avait rendu maître; et, après en avoir enlevé les vivres et tout ce qui l'accommodait le plus, il en ôta encore les deux huniers et ne lui laissa que ses basses voiles p o u r aller au premier port sous le vent. Il en usa ainsi dans la crainte que ce vaisseau ne gagnât au vent, et n'allât avertir les Espagnols de l'endroit où étaient les aventuriers. Après cette sage retraite, Grammont disposa sa patache pour aller au Petit-Goave. Il s'y rendit heureusement; mais la patache, s'étant écartée, n'eut pas le m ê m e b o n h e u r : elle rencontra les armadilles qui lui d o n nèrent la chasse, et les aventuriers qui la montaient durent descendre dans un petit bateau et se sauvèrent à la faveur de la nuit, au nombre de quatre-vingt-dix h o m m e s , emportant à la vérité tout leur argent, mais abandonnant les esclaves et les marchandises. Avec ce petit bateau, ils arrivèrent au cap de Saint-Antoine, et de là à la Jamaïque, sur des vaisseaux anglais. 11 est bon de remarquer que les flibustiers qui ont fait ce qu'ils appellent bon butin, c'est-à-dire qui rapportent beaucoup d'argent de leurs courses, vont plutôt à la Jamaïque ou à l'île de Saint-Domingue qu'ail12


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