Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

Page 174

166

HISTOIRE

DES

AVENTURIERS.

Ce discours fit une grande impression sur l'esprit des flibustiers, et le capitaine Laurent, voulant profiter de la bonne disposition où il les voyait, s'avisa, p o u r les mettre à la dernière épreuve, d'appeler le plus intrépide d'entre e u x ; il lui donna l'ordre en leur présence de mettre le feu à la soute aux poudres au premier signal qu'il lui en ferait, et il lui commanda dans ce dessein de se tenir à deux pas de là, toujours attentif, et la mèche allumée. Il leur faisait connaître par cette résolution qu'il n'y avait de salut pour eux que dans la mort m ê m e ou dans leur courage. Dans le même

moment il passa au centre de son vaisseau, et

ordonna de faire une bordée de fusiliers de côté et d'autre,

ce qui fut

exécuté; puis haussant la voix pour être entendu de tout son monde, et leur montrant de la main les e n n e m i s : « C'est entre leurs bâtiments, dit-il, qu'il nous faut passer, et tirer vigoureusement sur e u x . » Peutêtre en usait-il de cette manière pour tenir toujours ces deux vaisseaux en échec, les occuper tous deux également en tirant ainsi à droite et à gauche, et les empêcher par ce m o y e n de venir fondre sur lui, et de l'accabler par le grand nombre. Quoi qu'il en soit, les flibustiers s'engagèrent entre les deux galions, et essuyèrent en passant tout le feu de leurs canons. Ils y répondirent par le feu de tous leurs fusils, qui firent une décharge si meurtrière, qu'à la première fois les Espagnols virent tomber, de l'un et de l'autre de leurs galions, au moins quarante-huit de leurs h o m m e s . Ce feu continuait de la sorte lorsqu'un coup de canon vint donner dans le vaisseau du capitaine Laurent; il en eut la cuisse froissée, et il tomba parterre. Mais s'étant relevé aussitôt et voyant ses gens é t o n n é s : « Ce n'est rien » , s'écria-t-il d'un ton ferme. Plus vigoureux et plus redoutable que jamais, son pistolet d'une main, son sabre de l'autre, il fit là des choses que l'on a vues, et qu'on aurait peine à décrire. Cependant voyant que le combat tirait en longueur, impatient de délivrer les siens ou de périr, il lui vint en pensée d'aller aux canons, et d'en pointer lui-même une pièce dont le c o u p porta si heureusement qu'il brisa le grand mât de l'amiral espagnol. N'ayant plus rien à craindre de celui-ci, il s'attacha uniquement à l'autre, dont le commandant n'osa jamais venir à l'abordage, trop convaincu que les flibustiers sont gens à


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.