Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

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HISTOIRE DES AVENTURIERS,

aucun poil, mais une peau d'un brun jaunâtre, et que, lorsqu'on leur envoyait un coup de lance, ils savaient se ramasser de telle sorte, qu'on ne pouvait les percer. D e plus, ajoutait-il, ils sont de forme humaine, et fort âpres à contraindre les femmes quand ils peuvent en attraper; et quand ils tiennent les h o m m e s , soit blancs, soit noirs, ils les portent sur les arbres et ils les précipitent de haut en bas pour les tuer. Il me rapporta beaucoup d'autres particularités, qui me parurent si peu de chose que je ne veux pas les raconter. Je me figure que ce sont de gros singes, et ce qui me confirme dans cette pensée, c'est que j ' e n ai vu beaucoup dans ce pays. A la vérité, ils n'avaient ni ces mœurs ni cette taille. En faisant le tour du lac, on trouve, au sud-est, une nation d'Indiens qui ne sont point encore réduits et que les Espagnols, qui n'y ont aucun accès, nommèrent Indios Bravos. En tirant vers l'occident, on trouve une contrée sèche et aride qui ne produit que de petits arbres, lesquels, faute de nourriture, ne croissent pas à dix ou douze pieds de haut. Ce pays rapporte aussi quantité de figuiers d'Inde, qu'on n o m m e raquettes ou torches, et qui sont très dangereux à traverser, parce qu'ils ont des épines si subtiles qu'elles percent au travers des habits, qui ne sont, en ce pays, que de toile ou de soie. Cependant, c o m m e il y a du pâturage, les Espagnols ne laissent pas de s'y a c c o m m o d e r ; leurs hattos ou maisons de campagne

sont remplies de cabris,

de moutons, de bœufs

et de

vaches qu'ils y entretiennent toujours en très grand n o m b r e . Ils ne p r o fitent que des cuirs et du suif des a n i m a u x ; car il n'y a pas assez de monde pour en consommer la chair, laquelle d'ailleurs ne se perd p a s : certains oiseaux, que l'on n o m m e marchands, la m a n g e n t ;

ils ont la

figure d'une de nos poules d'Inde, mais ils ne sont pas si gros. Un j o u r , j e fus le plus trompé du m o n d e : j ' e n tuai six que j'apportai à nos gens, croyant que c'était des poulets d'Inde. Mais on se moqua de moi et on me fit remarquer qu'ils sentaient la charogne. Ces oiseaux sont si carnassiers qu'à quatre ou cinq ils mangeraient en un j o u r un bœuf assez puissant. Ils défèquent à mesure qu'ils mangent, ce qui fait connaître que leur estomac est fort chaud. S'ils savent bien manger, ils savent bien jeûner aussi; car .ils demeureront huit j o u r s , perchés sur un arbre, sans rien prendre. Ils sont si craintifs que le moindre oiseau, gros


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