Les aventuriers et les boucaniers d'Amérique

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BARTHÉLÉMY, LE PORTUGAIS.

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qu'il fallait pendre ces gens-là si on ne voulait pas qu'ils se rendissent les maîtres du Nouveau Monde. Ils ajoutèrent qu'ils avaient tué un alferez qui valait mieux que toute la France. Le gouverneur se contenta de les faire travailler au bastion de Santo-Francisco de la ville de Carthagène. Après avoir servi deux ans en qualité de manœuvres, sans autre payement qu'un peu de nourriture, ils obtinrent enfin du gouverneur q u ' o n les enverrait en Espagne, o ù , lorsqu'ils furent arrivés, ils cherchèrent l'occasion de repasser en France, et de là en Amérique, pour se d é d o m mager sur les Espagnols de la perte de leur salaire. Une autre histoire que j e vais rapporter n'est pas moins tragique ni moins digne de remarque que la précédente. Barthélemy, Portugais de nation, arma une petite barque à l'île de la Jamaïque, et la monta l u i même. Il avait trente h o m m e s et quatre petites pièces de canon, tirant chacune trois livres de balles. Étant sorti du port de la Jamaïque avec un bon vent, il s'en

alla croiser devant le cap de Corientes, qui

est

une pointe au sud-ouest de l'île de Cuba, que viennent ordinairement reconnaître les navires venant de Caracas ou de Carthagène, et cinglant vers Campêche ou La Havane. Il ne fut pas longtemps sans découvrir un navire qui avait assez belle apparence et qui paraissait même être trop fort pour lui. Il consulta son équipage pour savoir ce qu'il y avait à faire ; tous lui dirent qu'ils étaient résolus de faire ce qu'il voudrait, puisqu'il ne fallait point perdre d'occasion,

et

qu'il

était impossible

d'avoir

quelque chose sans beaucoup risquer. Là-dessus, ils se préparèrent tous et donnèrent la chasse à ce navire, qui n'en fut pas fort alarmé, car il les attendait. Quand les navires espagnols viennent en ce lieu-là, ils sont toujours sur leurs gardes, c o m m e le sont les navires de l'Europe qui passent le cap de Saint-Vincent, à cause des Turcs qui y croisent ordinairement. Notre aventurier ne fut pas plutôt à la portée du canon de ce navire espagnol, qu'il essuya toute sa volée, sans néanmoins en recevoir beaucoup de mal. Il n'y répondit rien, mais fut tout à c o u p bord a b o r d . Les Espagnols, qui étaient forts, se défendirent ; il fallut se battre. C o m m e les aventuriers sont extrêmement adroits à tirer, ils quittèrent les côtés


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