268
L'EMPIRE COLONIAL D E LA
FRANCE
MODERNE
mois. « Depuis le temps où les cavaliers de Lasalle enlevaient les villes allemandes à la pointe de leurs sabres, on n'avait jamais v u semblable épopée ». Maître du pays Fr. Garnier se mit à l'organiser, n o m m a n t des mandarins, recrutant des auxiliaires, p r é v o y a n t tout. Il se trouvait, c o m m e il l'écrivait à un ami, « avec une province de deux millions d'âmes sur les bras »; il se mit cependant à l'administrer. E n m ê m e temps, il préparait un traité de c o m merce et de protectorat. Malheureusement, dans une attaque de Pavillons noirs — appelés par les m a n d a r i n s — il fut tué. Son audacieuse entreprise allait être abandonnée. Certes, la joie et la fierté causées par ces succès avaient été grandes en France, au lendemain de 1870; cependant le Ministère de Broglie se trouvait un peu embarrassé de sa conquête. L'amiral Dupré ne défendit pas énergiquement auprès du gouvernement l'œuvre de Garnier; l'officier qui alla r e m placer celui-ci au Tonkin, et qui n'avait jamais eu pour lui de sympathie, n'était pas un h o m m e d'action; il abandonna le pays conquis, rendit même aux Annamites la citadelle d'Hanoï et chassa Jean Dupuis. Par le traité signé à Saïgon en 1874, l'Annam renonçait à toute prétention sur la Cochinchine — renonciation bien superflue — et p r o mettait d'ouvrir ses ports et le fleuve R o u g e ; par contre, il lui était fait remise de l'indemnité due depuis 1862, et on lui donnait quelques navires et des canons-fusils; de sorte que le gouvernement de Hué put prendre figure de vainqueur. Les marchandises de Dupuis, mises sous séquestre, furent pillées et des représailles terribles frappèrent les indigènes chrétiens et m ê m e les habitants du Tonkin qui nous avaient soutenus. E n réalité, nous avions eu le peuple entier avec nous, mais les mandarins nous demeuraient hostiles. Bien entendu, dès 1876, l'Annam reniait ses engagements et faisait appel à l'Empereur de Chine, i n v o q u a n t la suzeraineté toute théorique de ce pays. En 1880, en effet, la Chine déclarait ne pas reconnaître le traité de 1874 et protestait contre notre présence au Tonkin.