Contribution de la Guadeloupe à la Pensée Française

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A LA PENSÉE FRANÇAISE

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— Tu as raison de venir prendre l'air, petit. Tiens, vois comme la mer est bizarre et comme elle luit sous l'étrave. On dirait de l'argent fondu. — C'est pourtant vrai, fit Nino. Après un silence, il ajouta : — Mais on n'arrive toujours pas... Pendant combien de temps encore verrons-nous chaque soir le soleil plonger dans la mer pour en ressortir chaque matin, du côté opposé ? — Çà, nul n'en sait rien, répondit Rodigue. Et je me demande quand on sera de retour... Voilà un mois et quatre jours que nous avons vu les maisons blanches de Cadix s'effacer à l'horizon. Des vingt-trois moutons que nous avions embarqués à Gomera, il ne reste que dix-sept, et plusieurs truies sont malades... Quant à ce ciel, on ne le reconnaît plus. La tramontane descend vers la mer chaque soir, et du train dont nous allons, on l'aura bientôt perdue de vue. Pourrons-nous ensuite la retrouver? - Notre amiral est un grand savant. Avec l'aide de Dieu, il la retrouvera, dit Nino. Par-dessus le froissement soyeux de la mer sous la carène, au delà du grincement des cordages, on entendit une voix lointaine qui chantait. — En voilà encore un là-bas qui pense à sa femme, reprit le jeune homme. Les marins ne devraient jamais prendre femme. Moi, je ne me marierai pas. — Pauvre petit !... Si les marins n'avaient pas de femme, il n'y aurait plus de navigation, dit Rodrigue. Que voudrais-tu donc qui les pousse à s'embarquer ? S'ils n'avaient pas aux oreilles les jérémiades de leurs compagnes pour les comparer au silence musical du large, ils resteraient sur le sol comme les autres hommes. Ils ne partiraient pas comme nous l'avons fait, vers des destinées inconnues et de dangereuses aventures.


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