Contribution de la Guadeloupe à la Pensée Française

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CONTRIBUTION

DE LA GUADELOUPE

Cependant, appuyé contre la barre grinçante du Chico, Rodrigue Fortunio regardait monter à l'horizon austral des signes inconnus. Les clous d'argent du velum nocturne s'ordonnaient en des figures nouvelles, et le cœur angoissé du timonier essayait vainement de comprendre le sens caché qu'elles récelaient. Une grande croix mystérieuse, inclinée vers l'Orient, lui paraissait annoncer un avenir redoutable. Et comme la face ravagée de la lune élevait aussi au bord de l'océan un aspect funèbre, Rodrigue Fortunio croyait voir dans le ciel des menaces répétées. Il pensait aussi à Michaëla, sa femme, qu'il avait laissée à Cadix. Après trente jours de mer, cette absence lui devenait pénible. Il oubliait les ennuis domestiques, les propos injurieux, et se rappelait seulement l'agrément des caresses. Et son âme, ballottée de la crainte au regret, gémissait en lui-même comme la carcasse du Chico sur la houle courte du tropique. Avec une régularité monotone, les flancs de la caraque résonnaient par intervalles, sous le choc humide des vagues, tandis que les haubans de tribord vibraient Les voiles, mollement gonflées sous l'alizé, faisaient de grandes taches sombres dans l'air, et, de loin en loin, sous le scintillement métallique des étoiles, le pilote pouvait voir, essaimés sur la mer phosphorescente, les seize navires de l'escorte de la MariaGalanda. Celle-ci portait l'orgueil de l'Amiral et entraînait dans son sillage, vers les terres inconnues, l'espoir et la crainte de plus d'un millier d'hommes. Mais, par une écoutille proche, une ombre surgit de l'ombre, et le jeune Nino Saluto s'avança vers Rodrigue. — Impossible de dormir on bas. Il fait trop chaud, dit-il.


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