Contribution de la Guadeloupe à la Pensée Française

Page 349

A

LA

PENSÉE FRANÇAISE

291

J'apprends que depuis huit jours, avec son petit gars de deux ans passés, elle a regagné Brest, la maison abandonnée depuis que le départ de l'homme y avait suspendu la vie. Quittant la tendresse des siens, s'enfermant dans la douceur atroce de ses souvenirs, elle est allée parmi tout ce qui porte l'empreinte et garde le reflet du disparu. Là, alors, dans cette chapelle intime de toutes ses tendresses de jeune mariée, comme un fervent et inutile ex-voto, elle a suspendu son pauvre cœur douloureux, parmi les choses familières... Mais à Calais, j'ai vu le père et la mère du jeune héros. Lui, en cotte bleue de chauffeur d'usine, la figure noire de charbon où seuls sont vivants deux grands yeux sombres, moins rougis par le dur travail que par les larmes qui coulent en secret. Elle, une de ces fortes femmes du Nord, dont les flancs sont faits pour les maternités répétées, et dont les reins solides ne se fatiguent pas aux rudes labeurs de l'usine et du ménage. Lui. morne, muet, cassé en deux plutôt qu'assis sur une chaise; elle, exaspérée, poignante, exhalant avec cette volubilité que ne ralentit même pas l'accent calaisien, la longue plainte douloureuse qui monte de ses flancs maternels à nouveau déchirés. Elle veut son fils. Elle veut son fils vivant ou son cadavre. La pensée qu'on peut arrêter les recherches, qu'on peut laisser sans secours sur la banquise son petit qui est vivant et qui a faim et qui a froid et qui l'appelle, cela la rend folle furieuse. Alors, elle s'en prend à tous; aux hommes, au gouvernement, à Dieu qui est resté sourd aux messes quotidiennes qu'elle fait dire. Elle ne raisonne pas, elle ne croit pas, elle ne sait pas. Son petit est vivant. Il le lui faut. Et elle le plaint, et elle le chouchoute, et elle le berce, elle si lointaine,


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.