Contribution de la Guadeloupe à la Pensée Française

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A LA PENSÉE FRANÇAISE

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soudain, l'émotion a mis quelques points rouges. C'est la grand'mère du commandant. Dans cette pièce où la lumière, atténuée, se pose sur tant d'objets qui ne parlent que de lui, elle est seule. — Ma fille n'est pas ici. Elle est à la Bernerie, chez mes petits-enfants... Les longs doigts décharnés, les doigts aux jointures noueuses de ce qui fut des mains fines de femme, tâtonnent, indécis et fébriles, dans la grande boîte aux photos jaunies. — Arriver à quatre-vingt-trois ans pour connaître cette douleur ! A cet âge on ne se révolte plus contre les coups du destin. On les subit avec une patience résignée dont on sait qu'elle ne doit plus être longue. En vous est déjà un peu de la grande sérénité vers laquelle on va. ... Mme Puaud marche à petits pas, dans ses souvenirs, comme dans cette chambre où elle recherche en vain le portrait de Guilbaud enfant. Elle me dit leurs efforts patients, pénibles, pour qu'il soit un homme. Et aussi leur joie, leur fierté des belles choses qu'il a faites, qui lui ont demandé beaucoup de courage à lui, mais à elles aussi combien d'angoisses ! — En quelques jours, j'ai vu ma fille devenir vieille, presque aussi vieille que moi. Et pourtant elle a fait sa classe jusqu'au bout, jusqu'aux vacances, malgré la torture de son cœur. Quand je la grondais, elle me disait : « Je suis mieux, parmi mes petits. Je pense moins. » » Aujourd'hui, elle se reproche même ce dérivatif. Elle prendra un congé de trois mois jusqu'à sa retraite, parce que, m'a-t-elle dit, «j'ai réfléchi; il ne faut pas montrer un visage morne, un cœur ravagé aux petits êtres qui vont vers la vie... » » Alors, dans cette maison où il aimait tant à revenir, nous ne serons plus que toutes les deux, toutes seules, murées dans notre peine. »


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