Contribution de la Guadeloupe à la Pensée Française

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A LA

PENSÉE FRANÇAISE

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côté, un homme en redingote d'alpaga, pieds nus, un gros homme dont un pantalon, troussé à mi-jambes, découvrait les mollets. — Hé ! hé ! fit-il, ton anoli !... manqué, hein ? — Oui, mon... monsieur, bégayai-je. Et je baissai le front, puis écoutai le galop d'un petit cheval créole qui passa non loin de nous, derrière une haie. — Quel âge as-tu donc, mon garçon ? me demanda bientôt l'homme. — J'ai sept ans. répondis-je. Et tandis qu'il me considérait, murmurant d'une voix lente : « Sept ans !... sept ans !... il n'a que sept ans ! » j'osai le mieux regarder. C'était un vigoureux gaillard, d'une quarantaine d'années, rouge de peau, large d'épaules, aux deux tiers chauve, avec une barbe inculte. Il croisa les bras. — Si j'étais ton père, continua-t-il, je ne te laisserais pas faire de mal aux bêtes. — Mais, monsieur, je ne leur fais point de mal. ■— Non, tu les étrangles seulement, n'est-ce pas ?... Tu te contentes de les étrangler ? — Oui. monsieur. — Ah çà, jeune Eliacin... étrangler pour toi, ce n'est donc pas faire du mal ? Je commenai par ne rien répondre; mais une dose de courage m'envahissant tout à coup, je m'écriai : — D'abord, monsieur, il y a bêtes et bêtes. Je sais très bien qu'il y a des bêtes à qui l'on ne doit pas faire de mal, mais... Un éclat de rire me coupa la parole, un éclat strident qui se termina vite. Je frissonnai. — Parions que tu as peur de moi ! fit alors l'homme. Je reculai. — Non, répondis-je. Mais, jetant un rapide coup d'oeil vers notre maison, je constatai qu'elle n'avait pas bougé de place.


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