Contribution de la Guadeloupe à la Pensée Française

Page 121

A LA PENSÉE FRANÇAISE

107

ne veut jamais prôner que ses défauts, je vais vous dire, moi, ce qui se passe ici depuis la Saint-Jean jusqu'à la Saint-Sylvestre. — Voyons, Marthe, ma mie, ne soyons pas mauvaise langue, dit le chanoine. — Si je ne craignais d'être indiscret, je serais bien curieux, ajouta le vicomte. — Vous saurez donc, Monsieur, reprit la gouvernante, qu'à chacun de ses repas, Monsieur l'abbé, (et il en fait trois par jour, excepté les temps de jeûne), après avoir dit son Bcnedicite, s'asseoit, met sa serviette, prend son couteau et taille dans le meilleur plat le meilleur morceau qu'il envoie à son office, comme vous venez de le voir. — Mais la raison ? — La raison est que, dans la journée, monsieur l'abbé, qui est rapporteur au 10e bureau de charité, a toujours rencontré quelque pauvre mourant auquel il envoie ce qu'il appelle une friandise, ou bien encore un trompe la faim. — Marthe, vous êtes une bavarde, balbutia le chanoine devenu tout rouge. — Et quand nous sommes seuls, Benoîte, monsieur l'abbé et moi, ce qui est rare, car votre couvert est pris d'habitude par quelque pauvre diable, le grand bonheur de Monsieur de Brionne est de nous appeler près de lui pendant qu'il dîne ou qu'il soupe, et là, il nous raconte ce qu'il appelle encore ses trouvailles... — Marthe, vous n'avez plus le sens communFadaise, mon jeune ami, Fadaise ! J'ai pour habitude, comme vous l'a dit cette bavarde, Dieu me pardonne ! de prélever sur mes repas le morceau qui me semble le plus appétissant. Ce morceau, je l'envoie à une de mes trouvailles, et c'est ce que j'appelle la bouchée du roi. Ce n'est pas grande merveille, comme vous le voyez. Chacun a ses manies. Pour mon compte, je ne dînerais pas à l'aise, si mon dîner ne devait profiter


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.