Origines de la Martinique : le Colonel François de Collart et la Martinique de son temps

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ET LA MARTINIQUE

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tier. Eux s'étaient cantonnés sur les bords de la Capesterre, à l'est de la Martinique. De cette manière, l'île se trouvait partagée à peu près également entre le peuple conquérant et le peuple conquis, si l'on pouvait dire conquis ce peuple impatient d'un joug que lui-même s'était fait imposer par ses méfaits. Bref, échange de bons procédés, cadeau pour cadeau, mais coup pour coup, telle avait été et telle était encore la politique du capitaine de la Vallée, quand du Parquet vint prendre le gouvernement de la Martinique. Il entrait dans les idées de Jacques — qui s'était donné le loisir d'étudier, durant près d'une année, le caractère, les mœurs et les usages singuliers de ces insulaires — de confiner à leur égard cette politique de prudence et de fermeté. Les instructions qu'il avait emportées de Paris étaient d'ailleurs formelles. On lui avait enjoint de conserver à

tout

prix l'amitié des Caraïbes. Il y réussit, au moins dans les commencements. « Nous vivons avec les sauvages, écrit-il un jour, comme si nous étions tous Français. » Néanmoins, il ne dissimula pas à ses compagnons que se tenir en garde et se fortifier contre toute surprise devait être la règle absolue de leur conduite, en face de ce peuple primitif. Un caprice, une débauche', un souffle de méfiance, une excitation de leurs Boyés1, venue de l'intérieur ou des îles voisines, pouvaient mettre en mouvement, par centaines, par milliers, ces êtres fantasques et les pousser, du jour au lendemain, à envelopper les Français, que la veille ils traitaient en amis. II fallait donc qu'à la première alerte les colons pussent 1 Dans leurs assemblées confuses — où se décidaient la guerre ou la paix — les sauvages s'enivraient avec un vin de patates (sorte de pommes de terre très sucrées) égrugées et noyées d'eau, dans de grands vases de terre, où l'on jetait en même temps de la cassave chaude, qui servait de levain. Ce mélange, bien couvert, fermentait rapidement, et, quand il avait bouilli, — coulé, passé, transvasé et reposé en baril — il formait une boisson alcoolique assez forte pour troubler les esprits, dès qu'elle était absorbée abusivement. Ce vin

s'appelait ouycou. 1 Sorciers.


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