Origines de la Martinique : le Colonel François de Collart et la Martinique de son temps

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FRANÇOIS

DE

COLLART

avec leur navire, le tour de la bouteille merveilleuse qui ne s'épuise pas. Il eût fallu sévir contre cet ingénieux moyen de frauder les ordonnances. Le Conseil martiniquais, sentant son tort , cherche à s'excuser par la raison suivante, qui aurait dû faire réfléchir en France. « Le Conseil de Marine est supplié, dit-il, de considérer à quelle extrémité le porte un peuple qui n'a de revenu qu'à proportion d'un nombre d'esclaves qu'il faut nourrir, quand cette nourriture lui manque, sans savoir d'où tirer du secours.» C'était là, en effet, un souci continuel. A ces malheureux noirs, que le dur labeur affamait par centaines sur les habitations, le manioc, comme principale nourriture, ne suffisait pas. Dans de telles conditions, l'homme, complètement privé de chair, éprouve à la longue des appétits qui vont jusqu'à la férocité. L'abondance régulière pouvait seule résoudre cette irritable question du bœuf salé, sans cesse agitée. Celle du manioc avait soulevé aussi une certaine classe de colons. La Varenne, suivant les ordres qu'il avait reçus, forçait les chefs des grandes maisons à consacrer une partie notable de leurs terres à la culture du manioc. Cette mesure, bien que très sage en apparence, ruinait les petits habitants qui, n'ayant pas le moyen de faire du sucre, plantaient uniquement du manioc et le fournissaient aux sucreries. Le Conseil de Marine ignorait ce détail. D'Hauterive (c'est lui qui tient la plume) ne se borne pas à ces préoccupations alimentaires. Echo de ce qui se passe autour de lui, sa lettre revient sur la révolte par un détour assez heureux. Non sans inquiétude pour lui-même, il fait pressentir que chacun tâchera de rejeter « l'affaire » sur le prochain et que dès lors on ne pourra se fier aux dires de personne. Il va plus loin ; il laisse entendre que des informations ont été prises, et que, jusqu'alors, rien n'a pu mettre sur la trace des coupables. Mais il faut citer. On ne croirait pas à tant de finesse.


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