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Lettre du révérend
père Cat à M
A Buenos-Ayres, le 18 mai 1 7 2 9 .
J E me hâte, Monsieur, de remplir la promesse que je vous ai faite en partant, de vous écrire les particularités de mon voyage, qui, aux fatigues près d'un trajet long et pénible, a été des plus heureux. Je sortis, le 8 de novembre 1 7 2 8 , de la rade de Cadix, avec trois missionnaires de notre compagnie. Poussé par un vent favorable, l'équipage perdit bientôt la terre de vue, et la navigation fut si rapide, qu'en trois jours et demi nous arrivâmes à la vue des Canaries. Mais alors le vent ayant changé, nous fûmes obligés de louvoyer jusqu'au 1 6 , jour auquel nous mouillâmes à la baie de Sainte-Croix de Ténériffe, où nous arrêtâmes quelque temps pour faire de nouvelles provisions. Je ne trouve rien de plus ennuyeux que le séjour d'un vaisseau arrêté dans, un port. Heureusement nous ne restâmes pas long-temps dans celui où nous étions, et le 26 janvier nous nous trouvâmes sous le tropique du Cancer. Je fus alors témoin d'un spectacle auquel je ne m'attendois guère : on vit paroître tout à coup sur le vaisseau dix ou douze aventuriers que personne ne connoiseoit. C'étoient des gens ruinés, qui, voulant passer aux Indes pour y tenter fortune, s'étoient glissés dans le navire parmi ceux qui y avoient