Nouvelles des missions extraites des lettres édifiantes et curieuses : missions de l'Amérique

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( 10 ) ce que la faim a de plus cruel; la longueur et la difficulté de ces sortes de voyages ne permettent d'emporter avec soi qu'un sac de blé de Turquie ; on suppose que la chasse fournira sur la route de quoi vivre ; mais si le gibier y manq u e , on se trouve exposé à plusieurs jours de jeûne. Alors toute la ressource qu'on a est de c h e r c h e r une espèce de feuilles que les sauvages nomment kengnessanaah, et les Français tripes de roches. On les prendroit pour du cerfeuil, dont elles ont la figure, si elles n'étoient pas beaucoup plus larges. On les sert ou bouillies ou rôties; celles-ci, dont j'ai mangé, sont moins dégoûtantes. Je n'eus pas à souffrir beaucoup de la faim jusqu'au lac des Hurons; mais il n'en fut pas de même de mes compagnons de voyage : le mauvais temps ayant dispersé leurs c a n o t s , ils ne purent me rejoindre. J'arrivai le premier a Missilimakinak, d'où je leur envoyai des vivres, sans quoi ils seroient morts de faim. Ils avoient passé sept jours sans autre nourriture que celle d'un corbeau, qu'ils avoient tué plutôt par hasard que par adresse ; car ils n'avoient pas la force de se soutenir. La saison étoit trop avancée pour continuer ma route jusqu'aux Illinois, d'où j'étois encore éloigné d'environ quatre cents lieues. Ainsi il me fallut rester à à Missilimakinak, où il y avoit deux de nos Missionnaires, l'un parmi les Hurons, et l'autre chez les Outaouacks. Ceux-ci sont fort superstitieux et très-attachés aux jongleries de leurs charlatans. Ils s'attribuent une origine aussi insensée que ridicule. Ils prétendent sortir de trois familles, et chaque famille est composée


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