Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

Le pauvre vieux noir était tombé du coup dans une prostration profonde. Sa douleur était navrante. Il regardait, hébété, ce monceau de cendres, seul reste de ce qui avait été l'abri de sa triste vieillesse, ces tronçons charbonnés qui étaient les poteaux élevés par ses mains mutilées, ces débris de poteries noir cies, renfermant les provisions, ses outils, fidèles auxiliaires de son travail de solitaire... Il regardait... et ne trouvait ni une plainte, ni une larme. Toute autre était l'attitude du blanc. Sa vaillante nature était bien celle d'un homme bâti pour toutes les luttes. li tressaillit à la vue du désastre, pâlit légèrement, et ce fut tout. Chose étrange et pourtant naturelle. L'embrasement au carbet ne lui produisit pas, à beaucoup près, autant d'impression que l'enlèvement de la pirogue. C'est que l'incendie pouvait, devait même n'être que l'effet d'un hasard malheureux, tandis qu'il fallait attribuer à une main ennemie l'absence de l'embarcation. Toute la série des suppositions les plus alarmantes s'offrait à son esprit, et quelque peu pessimiste qu'il fût, Robin se trouvait en face de ce double point d'interrogation : Qui a commis le vol? Dans quel but? Le surveillant était encore au pénitencier et d'ailleurs, s'il eût été averti de la présence du fugitif dans le bassin de la crique, il fût arrivé avec une escouade et eût arrêté l'homme sans autres formalités. Le transporté Gondet, qui n'avait pas donné signe de vie depuis l'épisode de la lettre... Mais non. Cette supposition était absurde. Il était sincère, ses preuves de repentir ne pouvaient être mensongères, non plus que l'expression de sa reconnaissance. Mais son insistance à empêcher les deux hommes de quitter leur habitation... N'était-elle pas, sinon compromettante, du moins un peu exagérée ? Robin se disait qu'il était trop défiant. En somme, le forçat devait être de bonne foi. Les preuves abondaient. Ah! l'Indien! Le misérable Peau-Rouge pouvait être seul coupable de ce double attentat. Son ignoble passion pour l'alcool, déçue tout d'abord, voulait être assouvie. Son plan était tout simple : immobiliser le proscrit dans la vallée, puis l'affamer. Alors quand le tigre blanc, au bras terrible, serait affaibli par les privations, quand la case du vieux nègre, cette forteresse défendue par les serpents, serait en cendres, le bon Atoucka s'en viendrait avec les « mouché di Bonapaté » (les hommes de la pointe Bonaparte), le tigre blanc serait de bonne prise, et le « Kalina » s'offrirait une ces lampées de tafia comme jamais estomac équatorial n'en a ingurgité


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