Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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LES R O B I N S O N S DE LA GUYANK

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sain, les fièvres paludéennes y sont fréquentes, et les travaux de défrichement écrasants. Le surveillant Benoit — c'est le nom qu'on donne maintenant aux anciens garde-chiourme des bagnes européens — accompagna sa brigade au casernement. Il avait l'oreille basse, le digne argousin, et la face déconfite d'un renard pris au piège. Son gourdin n'évoluait plus au bout de son poignet robuste. Les pointes de ses moustaches pendaient tristement sous l'averse, et la visière de son képi n'avait plus cette conquérante inclinaison à quarante cinq degrés. C'est que l'évadé était un « politique », un homme de haute intelligence, d'énergie et d'action. Sa fuite devait être désastreuse pour le gardien auquel la sollicitude du gouvernement l'avait confié. Ah ! s'il eût été un vulgaire assassin, ou même un simple faussaire, Benoît s'en fut soucié comme d'un verre de tafia. Les hommes, ravis de cet incident qui désespérait leur chef, dissimulaient mal la joie que leurs yeux reflétaient en dépit d'eux-mêmes. C'était, d'ailleurs, la seule protestation qu'ils pussent élever contre les actes de brutalité dont ce trop zélé serviteur se rendait coupable. Ils s'allongèrent sur leurs hamacs, tendus entre deux madriers et s'endormirent bientôt de ce sommeil que procure, à défaut d'une conscience tranquille, un labeur écrasant. Benoît, plus décontenancé que jamais, s'en alla, sans même se préoccuper de la pluie torrentielle et des hurlements de la foudre, rendre l'appel au commandant supérieur du pénitencier. Celui-ci, déjà mis au courant de la situation par le coup de feu et l'appel aux armes de la sentinelle, prenait avec cálmeles mesures qu'il croyait nécessaires pour opérer les recherches. Non pas qu'il espérât retrouver le fugitif, mais c'est la règle. Il comptait bien plutôt sur la faim, cet implacable ennemi de tout homme isolé dans l'interminable forêt. En effet, si les évasions étaient nombreuses, la famine ramenait invariablement tous ceux qu'avait entraînés le fol espoir de la liberté. Trop heureux, quand, les entrailles tordues par la faim, ils pouvaient éviter la dent des reptiles, la griffe des fauves, ou l'aiguillon souvent mortel des insectes. Quand il apprit pourtant le nom de l'évadé, le commandant, qui connaissait son énergie et qui avait su apprécier son caractère, sentit diminuer sa confiance.


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