Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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DE LA GUYANE

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plus, pour imprimer la direction, donner de temps à autre à la pagaye des mouvements de godille. Un autre avantage, c'est qu'à l'inverse des bâtiments à rames, l'équipage d'une pirogue a le visage tourné à l'avant. Casimir, pour faire patienter son compé, l'avait minutieusement rompu à ces manœuvres. L'élève était maintenant passé maître, et sa vigueur herculéenne insi que son énergie, devaient lui permettre de tenir presque indéfiniment. Cinq semaines s'étaient écoulées depuis le départ de Gondet. Robin, complètement désespéré, allait quitter la paisible demeure du lépreux, quand la veille même du jour irrévocablement fixé pour le départ, le transporté, pâle, maigre, se soutenant à peine, fit son apparition dans l'abattis. Deux exclamations de joie accueillirent son arrivée. — Enfin ! Ah mon pauvre garçon, que vous est-il donc arrivé ? demanda le proscrit en le voyant dans un pareil état. — Ne m'en veuillez pas d'avoir autant tardé, dit-il d'une voix éteinte. Mais j'ai cru mourir. Je n'ai pas été reconnu malade par le docteur, et Benoît, qui peut à peine se traîner, m'a roué de coups... « On m'a mis alors à l'hôpital... et pour tout de bon, allez ; mais Benoît me le paiera. — La lettre... demanda anxieusement Robin... La lettre?... — Bonnes nouvelles. J'ai eu mieux que je n'espérais. — Parlez !... Dites... Oh ! dites-moi vite ce que vous savez. Le transporté se laissa tomber, plutôt qu'il ne s'assit, sur un tronc renversé, tira de sa poche son petit carnet, et en sortit un morceau de papier qu'il tendit à Robin. er

C'était la lettre écrite par sa femme le 1 janvier dans la mansarde de la rue Saint-Jacques. Ou plutôt, c'était la copie de cette lettre. Il lut avidement, d'un trait, d'un regard, puis recommença. Un tremblement convulsif agitait ses mains, puis ses yeux s'obscurcirent, un rauque sanglot déchira sa gorge... Cet homme de fer pleura comme un enfant. Larmes de bonheur, rosée bénie, seule manifestation de la joie chez ceux qui ont trop souffert. Le noir, inquiet, n'osait interroger. Robin ne voyait plus, n'entendait plus. Il relisait à haute voix, maintenant ; répétant à satiété les noms chéris de ses enfants, se retraçant par la pensée la scène qui avait précédé la rédaction de la lettre, vivant un moment au milieu des bien-aimés absents. Casimir écoutait, les mains jointes, pleurant aussi. — Ça bon... murmurait-il... bonne madame... gentils pitits mouns... mo content... Robin s'arracha enfin à son extase, et se tournant vers le forçat, lui dit douce ment :


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