Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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LES R O B I N S O N S DE LA GUYANE

longtemps, bien longtemps, et finit par arriver au point où il se trouvait présentement. Le lieu était admirablement fertile. Il s'y installa, travailla comme quatre, attendant sans se plaindre le moment où son âme quitterait sa misérable enveloppe. Il était le lépreux de la vallée sans nom. Son labeur le rendait heureux. Robin écoutait sans interrompre le récit du bonhomme. Pour la première fois depuis son départ de France il savourait, sans amertume, un instant de bonheur. Ses yeux ravis contemplaient FEden du déshérité. La voix cassée du vieillard résonnait avec des intonations affectueuses. Plus de bagne, plus de geôle, plus de blasphèmes... Ah ! qu'il eût voulu presser dans ses bras cet être humain dont une|infortune plus cruelle encore que la sienne l'avait rapproché !... — Qu'il ferait bon vivre ici, murmurait-il... Mais suis-je assez loin? N'importe,, je resterai... Je veux demeurer près de ce vieillard, l'aider dans ses travaux... l'aimer ! — Ami, dit-il au lépreux, le mal te ronge, tu souffres, tu es seul. Bientôt ton bras n'aura plus la force de soulever la pioche et de fouiller la terre. Tu auras faim; si la mort vient, nul ne veillera près de toi, nul ne fermera tes yeux. « Je suis, moi aussi, un déshérité. Je n'ai plus de patrie ; ai-je encore une famille ? Veux-tu que je vive près de toi? Veux-tu que je m'associe, de corps et d'esprit, à tes joies comme à tes peines, comme à tes travaux? « Dis, ie veux-tu ? » Le vieillard, ravi, transporté, ne sachant s'il rêvait tout éveillé, riait et sanglotait en même temps. — Ab 1 mouché ! Ah ! maître ! Ah 1 bon fils blanc à mo 1 Puis, le sentiment de s a h i d e u r l'envahissant tout à coup, il cacha sa face ravagée dans ses doigts crispés et tomba sur les genoux, la poitrine agitée de convulsifs soubresauts. Robin s'endormit sous un bananier. Son sommeil fut hanté par le cauchemar. A son réveil, la fièvre le reprit avec violence. Le délire survint. Casimir ne perdit pas la tête. Il fallait à tout prix un abri pour son nouvel ami. Sa case était contaminée, croyait-il. Il fallait au plus vite l'approprier à, sa nouvelle destination, et la rendre habitable pour le malade. Il saisit sa pioche, gratta profondément le sol. emporta au loin la terre, éparpilla sur le


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