Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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d'immense pitié, mais, et il est inutile de le dire, exempte de dégoût. — Merci, mon brave, dit-il d'une voix mal assurée, merci de toutes vos bontés, je me sens mieux. Je vais continuer ma route. — Oh ! mouché... ou pas parti caba... mo baïé ou morceau di l'eau, ou morceau cassave, morceau poisson... vié Casimir avé gain tout ça côté la case. (Oh! monsieur, ne partez pas encore. Je vous donnerai un peu d'eau, de la cassave, du poisson. Le vieux Casimir a tout cela dans sa case.) — J'accepte, mon brave homme, j'accepte, murmura-t-il attendri. Pauvre créature déshéritée, dans laquelle se trouve une âme compatissante, comme une perle d'une incomparable pureté enfouie sous la fange. Le vieux noir ne se sentait plus de joie. Il se démenait comme quatre, tout en prenant d'infinies précautions pour éviter à son hôte un contact

qu'il

croyait contagieux. Il rentra dans sa case et en sortit bientôt, tenant un coui (moitié de calebasse) tout neuf, et qu'il portait au bout d'un morceau de bois fendu. Il passa le coui à la flamme de son feu, se rendit en trottinant à la crique, le rapporta plein d'eau et le lendit au malade qui but avidement. Pendant ce temps, une bonne odeur de poisson grillé s'exhalait à travers le gauletage de la case. Casimir avait mis sur les charbons un morceau de koumarou boucané, et la chair de ce magnifique poisson fondait en grésillant, emplissant le réduit de succulantes effluves culinaires. Partant de cet axiome que le feu purifie tout, Robin put se repaître sans crainte de contracter la lèpre. Le noir semblait ravi de la façon dont le nouveau venu faisait honneur à son hospitalité. Loquace comme ceux de sa couleur, jaseur comme les gens habitués à vivre seuls, il se dédommageait amplement du silence imposé par sa solitude et des monologues d'antan. Il n'avait pas été longtemps avant de s'apercevoir de la position sociale du nouveau venu. Peu lui importait, d'ailleurs. Le brave homme voyait un malheureux, cela lui suffisait. Ce malheureux frappait à sa porte, il lui devenait plus cher encore. Puis, il aimait les blancs de tout son pauvre cœur. Les blancs avaient été si bons pour lui. Il était vieux !... mais vieux à ne pas savoir son âge. Il était né esclave, sur l'habitation de la Gabrielle, appartenant jadis à M. Favart et située sur la rivière de Roura. — Oui, mouché, disait-il non sans orgueil, mô, neg' bitation. Mô savé cuisine, condui chival, planté girof' soigner roucou. (Oui, monsieur, je suis nègre


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