Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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« Tas d'ânes... vont-ils avoir au moins l'instinct de suivre ma piste. » Le surveillant, tordu par la soif, trouva dans la colère la force d'opérer quelques mouvements ; s'accrochant des mains aux herbes et aux racines, rampant sur les coudes et sur son genou valide, il put accomplir ce voyage de quelques mètres. — Enfin I dit-il en buvant avidement... Oh ! que c'est bon de boire... J'ai un volcan dans le corps. « Ah ! Je me sens renaître. Je guérirai... Je ne veux pas mourir... Il me faut vivre... vivre pour ma vengeance. « En attendant, je vais rester là comme une bête estropiée... J'ai de quoi 1

manger, heureusement, ne fût-ce que le tigre que l'autre a laissé là. « J'ai de quoi me défendre aussi; mon sabre... Joli sabre d'invalide... Ah ! mon pistolet. Il est en état. Ça va bien. « Impossible de faire du feu !... oh !... Tonnerre de tonnerre ! Que je souffre ! C'est comme si une demi douzaine de chiens rongeaient ma cuisse. « Pourvu qu'il ne prenne pas fantaisie à toutes les vermines des bois de se mettre après ma peau. « Benoît, mon garçon, tu vas passer une fichue nuit. Bien certainement que mes clampins ne seront pas là avant demain... et encore. « Tiens... où donc est Fagot?... La sale bête. Il m'a quitté. Ces chiens, c'est ingrat comme des hommes ! « Encore un à qui je règlerai son compte... Allons, bon. Le soleil se couche... Il va faire une nuit de tous les diables... Ah ! non, la lune. « Tiens, c'est drôle... d'être comme ça tout seul ici... Je me sens tout... chose ! » Si les nuits sont interminables pour celui qui chemine lentement, combien elles sont affreuses pour celui qui souffre et qui attend. Imaginez-vous un malade, les yeux fixés sur le cadran d'une horloge, et forcé de regarder avancer les aiguilles pendant douze heures. Voyez-le assister au laborieux entassement des minutes, épier le mouvement circulaire de la grande aiguille, pendant que la petite semble ne s'avancer qu'à regret, et de quantités infinitésimales que son œil ne peut apprécier. Imposez-lui ce supplice là-bas, sous les géants de l'équateur, au milieu des 1

Que le lecteur ne s'étonne pas de nous voir employer indistinctement le mot de tigre en parlant du jaguar, du léopard ou du puma, de même que celui de biche pour tous les cerfs d'espèces et de sexes différents. C'est l'habitude à la Guyane. Nous aurons soin d'ailleurs, pour éviter toute erreur, de les désigner en principe par leurs noms véritables. L. B.


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