Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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tante, les yeux hors de la tête, les lèvres frangées d'une écume sanglante, courait encore. Puis sa robuste nature fut enfin vaincue par ce formidable effort. Il lui sembla que son crâne supportait toute la voûte de

feuillage.

Le vertige s'empara de

lui, il buta, tituba, broncha et s'abattit lourdement sur le sol. Le surveillant Benoît endurait de véritables tortures. Sa cuisse, ouverte par la griffe d'un jaguar, enfla rapidement, sous l'appareil posé par la main du forçat. L'hémorrhagie était arrêtée, mais le surveillant était un homme mort si une médication énergique et savamment conduite n'était bientôt employée. La fièvre le saisit, cette terrible fièvre de la Guyane, véritable Protée qui prend toutes les formes, qu'une cause même futile détermine, et qui devient si rapidement mortelle. Une morsure d'araignée-crabe, aussi bien qu'une piqûre de fourmi-flamande, quelques minutes d'exposition au soleil, comme un bain trop froid, une marche trop prolongée, un écart de régime, une ampoule produite par une chaussure trop étroite, un furoncle, que sais-je encore, suffisent pour donner la fièvre. La tête devient alors le siège d'une douleur atroce. Les articulations d'abord douloureuses s'immobilisent, le délire survient avec son cortège de spectres ; puis le coma, et souvent la mort à courte échéance. Benoît savait tout cela, il eut peur. Isolé aussi dans la forêt, blessé grièvement, sans autre compagnon que son chien, faisant vis-à-vis à un jaguar décapité, on conviendra qu'il y avait là de quoi émouvoir l'homme le plus vigoureusement trempé. Une soif ardente le dévorait, et bien qu'il entendît à quelques pas le murmure d'une crique, il n'avait pu jusqu'à présent se traîner jusqu'aux bords. Chose étrange et monstrueuse tout à la fois, il trouvait encore entre un blasphème et un cri arraché par la douleur la force de maudire Robin, auquel il devait la vie et qu'il accusait de son malheur. — Oh ! le gueux !... la vermine !... Dire que tout ça est de sa faute... « Et ça fait le grand seigneur avec moi... Ça me pardonne !... Canaille !... si jamais je te trouve... je t'en administrerai un pardon. « Silence donc, Fagot... bête de malheur... sauvage ! dit-il à son chien, qui aboyait bravement à cinq pas du jaguar pantelant. « Oh que j ' a i soif 1 . . . A boire I... sang-Dieu !... de l'eau !... A boire !... Et ces trois brutes que j ' a i laissés là-bas, comme des canards empêtrés...


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