Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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LES R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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Robin ébrancha la cîme de son arbre, de façon à ne conserver que le tronc dont le sommet présentait un renflement un peu plus gros que la tige. Gela fait, il décortiqua à grands tours de bras la base du pédoncule des feuilles s'imbriquant à la tête. Les premières écorces concentriques de couleur vert pâle tombèrent l'une après l'autre, puis apparut une substance cylindrique, longue de quatre-vingts centimètres, du volume du bras, et lisse comme l'ivoire dont elle avait la mate blancheur. Le fugitif, dont les entrailles étaient tordues par la faim, cassa un morceau de cette substance et la croqua à belles dents, ainsi qu'une grosse amande avec laquelle elle offre comme contexture certains points de ressemblance. Cela ne nourrit guère, mais empêche pour un temps de mourir de faim. On a donné à ce bourgeon central le nom de chou-palmiste. Celui que Robin, après avoir cédé à son premier mouvement, emporta près de son brasier est produit par le patawa. Bien moins savoureux encore que le précédent, lequel, somme toute, n'est qu'un manger peu agréable, le patawa est le palmiste du pauvre, la dernière et insuffisante ressource des coureurs de bois. La tortue était cuite à point. Une agréable odeur de friture s'exhalait des coquilles carbonisées et craquelées par la chaleur. Notre héros la retira du foyer, l'ouvrit sans peine, s'assit, puisa à l'aide de son sabre dans ce plat improvisé, et se servant, en guise de pain, du bourgeon blanc du patawa, commença ce frugal et bizarre repas. Tout entier à cette fonction, il dévorait avidement, accroupi sur le sol nu faisant face à l'arbre, oubliant et sa fuite et ses dangers. Un sifflement aigu le fît bondir sur ses pieds. Quelque chose de long et de rigide passa devant ses yeux et vint se planter en trépidant à travers l'écorce lisse du simarouba. C'était une flèche de plus de deux mètres, grosse comme le doigt, et dont l'extrémité, empennée de rouge, frémissait en oscillant. Robin saisit son épieu et se mit en défense, les yeux fixés sur le point d'où venait ce terrible messager de mort. Il ne vit rien tout d'abord, puis les lianes s'écartèrent doucement comme un rideau, et un Peau-Rouge apparut, son grand arc tendu, les bras contractés, les jambes écartées, prêt à décocher une nouvelle flèche dont la pointe menaçait le déporté. Il était à la merci du nouveau venu. Quelle résistance opposer à ce sauvage, qui, impassible comme une statue de porphyre rouge, semblait, par un raffinement de cruauté, chercher pour frapper une place à sa convenance. La pointe,


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