Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

Page 24

LES R O B I N S O N S DE LA G U Y A N E

20

Il prit ensuite un peu de terre glaise qu'il pétrit et appliqua couche par couche en enveloppant le membre blessé comme d'un manchon. Le sang, qui transsudait à travers le linge, ne put traverser cette couche imperméable. Cela fait, Robin enveloppa l'appareil entier de grosses feuilles fraîches et les maintint solidement à l'aide de lianes. L'horrible plaie s'étendant de la hanche au genou était réunie par première intention, et s'il ne survenait pas de fièvre traumatique, le blessé devait guérir aussi bien que s'il eût été pansé par le plus habile chirurgien. Cette opération, accomplie avec une dextérité infinie, n'avait pas duré plus d'un quart d'heure. Le sang commençait à revenir aux pommettes livides de Benoît. Il s'agita, respira longuement et murmura d'une voix sourde : — A boire ! Robin cueillit une longue feuille de « waïe » la plia en cornet, courut la remplir au trou d'où il venait d'extraire la terre glaise et qu'une eau limpide commençait à envahir. Il souleva la tête du blessé, qui but avidement et ouvrit enfin les yeux. Dépeindre l'expression de stupeur que refléta son visage en reconnaissant le forçat, serait impossible. Puis, la brute se réveillant tout d'abord en lui, il essaya de se lever pour se mettre en état de défense, peut-être même pour attaquer. Une horrible douleur le terrassa. La vue du cadavre du jaguar acheva de le rappeler à la réalité. Eh quoi! c'était bien là Robin, cet homme qu'il poursuivait d'une haine aveugle, et qui, après l'avoir arraché aux griffes mortelles de l'animal, venait, dans un moment d'abnégation sublime, de panser sa plaie et d'étancher sa soif! Tout autre se fut incliné devant un tel acte d'abnégation. Il eût parlé des exigences du devoir, de la consigne, il eut enfin tendu la main à l'homme et lui eût dit : Merci. Benoît blasphéma! —

Eh ! bien, tu sais, tu es ce qu'on pourrait appeler un drôle de corps.

Moi, à ta place, je n'en aurais fait ni une ni deux... Crac ! et puis, bonsoir. Plus de Benoît. C'eût été un bon moyen de me faire payer mes coups de trique avec les intérêts. — Non! dit froidement le déporté. La vie humaine est chose sacrée... Et d'ailleurs, n'y a-t-il pas mieux que la vengeance? — Et quoi donc, s'il te plaît ?


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.