Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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venait de faire une chose toute simple et qu'il n'avaita u c u n e m e n tconscience du tour de force qu'il venait d'accomplir. Il y eût un long silence, interrompu seulement par la voix aiguë de Fagot, qui aboyait rageusement à distance respectueuse. — Eh bien! vas-y donc... C'est mon tour, dit enfin le surveillant... continue la besogne de l'autre. Robin, les bras croisés, immobile comme une statue de pierre, ne répondait pas, ne semblait même pas entendre. — Allons, pas tant de façons. Tue-moi et que ça finisse. A ta place, il y a longtemps que ça serait fait. Pas un mot. — Ah! tu jouis de ton triomphe. L'autre a fait la moitié de l'ouvrage. Le tigre moucheté a été l'auxiliaire du tigre blanc!...

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« Parbleu, il m'a mis... dans un... joli état... J'y vois trouble... mon cœur s'en va... c'est fini... je suis... f... fichu. » Le sang ruisselait en nappe de la plaie béante, le blessé, déjà sans connaissance, pouvait succomber à une rapide hémorrhagie. Robin, qui, en égorgeant le jaguar, avait obéi à un mouvement spontané, inspiré en partie par l'instinct de la conservation, oublia les insultes et les coups. Il ne se souvint plus de l'enfer du bagne dont Benoît personnifiait la féroce individualité. Plus de gourdin, plus de blasphèmes, plus de chiourme, plus d'embûches ni de poursuites. Il ne vit plus qu'un homme... un homme blessé qui allait mourir. Il manquait des éléments nécessaires à un pansement. Son expérience allait lui en fournir aussitôt. La « pinotière », ou savane desséchée, commençait à quelques mètres du lieu où ce drame venait de s'accomplir. Le déporté s'élança, écarta les herbes, et fouilla précipitamment

l'épaisse couche

d'humus,

composée de

détritus

végétaux. Il atteignit en quelques minutes un gisement d'argile grisâtre et poisseuse. Il en fit une masse grosse comme la tête et l'apporta près du blessé toujours évanoui. Retirant alors une des manches de sa chemise, il la déchiqueta en menus morceaux, prépara une sorte de charpie grossière, qu'il imbiba de tafia et posa sur les lèvres de la plaie préalablement rapprochées. 1

Les nègres Bosh et Bonis, ainsi que les Peaux-Rouges, désignent sous le nom de « tigres blancs » les forçats fugitifs d'origine européenne.


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