Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE Les aboiements se rapprochaient. Le fugitif assura son épieu dans sa main,

et attendit. Une minute s'écoula, puis un gracieux animal, de la grosseur d'un chevreuil daguet, à la robe couleur cannelle, passa près de lui comme un trait de lumière. C'était un « kariakou », le chevreuil de la Guyane. Au même moment, et à moins de vingt mètres du point où se tenait Robin, eut lieu comme un subit écroulement d'une chose formidable. Cela quitta la maîtresse branche d'un « boco », et s'abattit, mais une dizaine de secondes trop tard, sur le kariakou, qui disparut. C'était un jaguar énorme, qui, entendant un chien chasser, s'était mis à l'affût du gibier, dont il comptait bien faire son profit. L'homme ne poussa pas un c r i , ne donna aucun signe d'émotion, et resta immobile. Le monstre, à sa vue, eut comme un mouvement de recul. Mais, comme il était lancé avec l'irrésistible vitesse d'un projectile, il ne put arrêter son élan. Surpris d'autre part à l'aspect de Robin, et intimidé peut-être par son attitude résolue, il bondit une seconde fois, passa trois mètres au-dessus de sa tête, et, s'accrochant des griffes au tronc le long duquel il était appuyé, s'aplatit sur une branche, l'œil en feu, les moustaches hérissées, le muffle plissé, en grondant sourdement. l e s yeux rivés à ceux du terrible félin, l'épieu à la main, les muscles tendus, l'homme attendait l'attaque. Un bruit de branches froissées lui fit un instant tourner la tête. Il aperçut à cinq pas un canon de fusil braqué sur lui... Une voix furieuse lui envoyait en même temps ce brutal ultimatum : — Rends-toi !... ou tu es mort ! Un sourire dédaigneux crispa sa lèvre en reconnaissant Benoît, le surveillantchef. L'outrecuidance de cet argousin, qui employait des formules surannées de mélodrame, lui parut une chose bouffonne, surtout en présence du félir dont les dents craquaient, et qui pétrissait sous ses ongles ainsi que du papier, l'écorce dure comme du fer. Il ramena ses yeux sur ceux du jaguar, lentement, à la façon d'un dompteur dont chaque mouvement est calculé, et en évitant ces soubresauts précurseurs d'une catastrophe. L'animal, les paupières plissées, la pupille contractée en forme d'I, subissait une sorte d'influence magnétique.


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