Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

l'exposition de la tête nue, au soleil de midi, pendant quinze à vingt-cinq secondes, peut amener une congestion immédiate et souvent mortelle. Un chapeau de paille ou de feutre n'offre aucune sécurité, au moins pendant les premiers mois de séjour. Le parasol est indispensable. Un appartement bien dos n'est pas toujours un abri suffisant. Un rayon de soleil, filtrant sournoisement par une ouverture du volume du doigt, et tombant sur la tête nue, produit également une dangereuse insolation. Autant vaudrait être frappé d'une balle. Ce n'est pas tout. N'allez pas croire qu'un léger nuage, placé comme un Écran devant l'astre équatorial, soit un préservatif. Ce nuage arrête les rayons lumineux, mais les rayons caloriques le traversent, en conservant leur implarable et mortelle intensité. Il importe donc de se préserver à tout prix de ce contact’, de dix heures à deux heures. Aussi, les cités coloniales ressemblent-elles chaque jour, pendant ce laps de temps, à de véritables nécropoles, avec leurs rues désertes, leurs maisons closes, leurs magasins hermétiquement fermés. Enfin, il n est pas jusqu'à la lune dont l'influence ne soit également pernicieuse. Aussi, le chasseur, le mineur, le colon, le bûcheron ou le marin évitentils avec un soin égal et l'ardent baiser de l'astre du jour et le pâle sourire de la reine des nuits. De terribles ophtalmies sont la fatale conséquence d'un oubli, et l'homme qui s'endort sous un rayon de lune court grand risque de s'éveiller aveugle. Les nourrices et les mères de famille connaissent bien cette particularité, et il n'en est pas une qui consentirait à sortir avec un bébé pendant la nuit, si l'enfant n'est abrité sous un vaste parasol. Les Robinsons de la Guyane, après avoir heureusement pourvu aux dangers de la faim et assuré leur subsistance, payèrent leur tribut à cette cruelle exigence de la première heure. Les enfants s'adaptèrent les premiers et avec une facilité relative. Leurs souffrances furent moindres que celles de leur mère. La pauvre vaillante femme perdit bientôt l'appétit. A son élégante pâleur de Pari sienne, succéda cette teinte grise, maladive, qui envahit, quoi qu'elles fassent, le teint de toutes les Européennes. Les anthrax, après avoir douloureusement troué sa chair, laissèrent, comme témoignage indestructible de leur passage, de nombreuses cicatrices livides. Elle guérit, grâce à son indomptable énergie, grâce aux excellents soins dont elle fut entourée, grâce aussi aux infaillibles prescriptions de l'hygiène équatoriale et aux remèdes créoles. Elle pouvait dorénavant braver les intempéries de la zone torride. Le pauvre Nicolas subit de véritables tortures. Le brave Parisien, robuste et sanguin comme un fils de Bourguignon, était, bien malgré lui, réfractaire à toute acclimatation. Les « bourbouilles » le rongeaient, et comme il ne put, dans un


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