Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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LES R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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tend de la racine des cheveux à la plante des pieds, et dans lequel le corps se trouve comme au milieu d'un bain continuel. Les vêtements sont littéralement trempés et susceptibles d'être tordus ; de la face et des mains s'échappent sans cesse de grosses gouttes, qui roulent sur la peau et ruissellent à terre Loin d'être, comme dans les pays froids, avantageux pour supporter le climat, un tempérament vigoureux augmente au contraire la somme de dangers. Toutes les maladies, la fièvre jaune en tête, s'abattront de préférence sur l'Européen doué d'une santé florissante. Mentionnons pour mémoire les furoncles et les anthrax dont il sera littéralement criblé, les fièvres à forme congestive qui le saisiront au moindre excès de fatigue, et aussi cette éruption tenace, douloureuse, qui se traduit par d'intolérables démangeaisons, bien connue aux colonies sous le nom de bourbouilles. Les bourbouilles couvrent le corps tout entier, qu'ils envahissent comme une sorte de rougeole, ou mieux encore de « suette miliaire ». Ce sont des « sudamina » produits par la trop grande richesse du sang, et dont l'anémie seule ou le retour en Europe amènent la disparition. En somme, l'Européen ne peut se considérer comme acclimaté, que quand il n'a plus de forces, que quand l'anémie a pâli sa face, et que ses muscles, gorgés d'un sang généreux, ont perdu leur vigueur primitive. Il faut, pour vivre sous l'équateur, se contenter de n'exister qu'à moitié et prendre, comme on dit là-bas, « le pas colonial ». Aussi, quand il se plaint de toutes ses misères, l'homme de la métropole s'entend-il dire à chaque instant par les créoles, ou ceux qu'un long séjour a adaptés à cette énervante existence : « Oh ! c'est la richesse de votre sang qui cause tout cela. Attendez quelques mois. Quand vous serez anémique, tout ira très bien. Faut-il, après cela, s'étonner de la faible somme de travail produite aux colonies par les ouvriers, quand on songe que le désir de chacun est d'acquérir cet état d'anémie que l'on combat ici à grands renforts de toniques ! Un mot encore relativement aux insolations, pour terminer ce rapide et bien incomplet tableau des difficultés de l'acclimatation. L'insolation, le vulgaire coup de soleil, presque toujours mortel en Cochinchine, est particulièrement 1

dangereux en Guyane. Il n'est pas toujours foudroyant comme à Saigon , mais les ravages qu'il opère ne sont guère moins terribles. Il ne faut pas oublier que 1

En Gochinchine, les soldats sont consignés dans les casernes de neuf heures du matin 5 trois heures après-midi. Il leur est formellement interdit de traverser les cours, et même de se mettre aux fenêtres, ne fût-ce qu'une seconde, sous peine de prison. La retraite est sonnée à neuf heures et le réveil à trois heures. Ce luxe de précautions ne saurait être inutile, et l'on a vu trop souvent de malheureux imprudents tomber morts après quelques secondes d'oubli. L. B.


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