Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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— Des fourmis qui émigrent, continua Robin alarmé. Si elles se dirigent du côté de la case !... Ma femme, mes enfants... Oh ! mon Dieu, courons !... — Eh ben ! quoi, des fourmis, ça n'est pas des éléphants, fit à son tour Nicolas. Quand il y en aurait des douzaines et des centaines, on met le pied dessus, et tout est dit. Sans même honorer d'un mot cette réflexion qui accusait chez son auteur la plus profonde ignorance du péril, les deux hommes s'avancèrent rapidement, Le murmure devenait de plus en plus distinct. On était à moitié chemin de l'habitation. Le lépreux, qui marchait en t ê t e , s'arrêta brusquement, et un soupir de soulagement dégonfla sa poitrine. — Ça, michants bêtes-là, li pas passé côté la case, non. Les fourmis traversaient en effet le chemin, à moins de trente mètres des trois amis, et le coupaient à angle droit, suivant par conséquent une direction parallèle à la maison. La pente était assez rapide, et cette disposition du terrain leur permettait de voir l'armée des phénicoptères rouler comme un torrent que rien n'arrêtait. Cette masse de corselets et d'abdomens, noirs d'ébène, luisants, serrés, avait les lentes et capricieuses ondulations de la lave en fusion. Elle en avait aussi les propriétés dévastatrices. Des milliards de mandibules, piquaient, trouaient, mordaient, tenaillaient au passage les végétaux grands et petits. Les herbes disparaissaient, les broussailles s'éclaircissaient, les troncs eux-mêmes semblaient se fondre. Le bruit qui s'échappait de cette borde de petits rapaces était bien distinct maintenant. Le murmure était plus compact, le crépitement plus accentué. Les émigrants appartenaient à l'espèce dite « fourmi-flamande », dont Casimir avait précédemment utilisé la piqûre pour produire à la tête du proscrit agonisant cette vésication qui l'avait sauvé. Nicolas, à la vue d'une semblable dévastation, paraissait moins triomphant que tout à l'heure. Il frémissait en voyant des arbres énormes, dépouillés en un clin d'œil de leur écorce, et montrer leur cœur indestructible, privé de son enveloppe, comme un os, de la chair et de la peau. La retraite était, pour un temps plus ou moins long, interceptée aux trois amis. Ils allaient attendre, et si les flamandes ne se pressaient pas, on couperait leur corps d'armée en incendiant les herbes. Ils allaient, de guerre lasse, mettre ce projet à exécution, quand un incident bizarre le leur fit différer un moment. Depuis quelques instants, Robin regardait curieusement une grosse masse brune accroupie, aplatie plutôt, au milieu, du sentier, de façon à toucher un des côtés de la zone envahie par les insectes. De temps en temps, une sorte de vaste panache également brun, se relevait, puis


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