Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

Nicolas hochait la tête d'un air de doute, en murmurant : — Je fie dis pas qu'ils ne viendront pas, mais ce sera un mauvais voisinage. Robin le rassura en lui racontant la façon dont la chiourme avait été mise en déroute jadis par les alliés de Casimir. — Alors, vous croyez à ça, vous, patron? — Je crois à ce que j ' a i entendu et vu. — J'aurais mauvaise grâce à ne pas m'en rapporter à vous, tout en vous déclarant que ça me semble fort. Mais, il se passe ici des choses tellement étonnantes ! Les trois compagnons reprirent le chemin de la Bonne-Mère, se réservant de revenir en temps et lieu inspecter le retranchement qui devait s'élever tout seul, et savoir si la garnison attendue y avait élu domicile. Ils marchaient lentement, en file indienne comme toujours, et causaient à voix basse. Un léger bruit les fit s'arrêter soudain. Dans ces forêts peuplées d'êtres étranges et terribles, repaires de fauves et de reptiles, où un pan de verdure sert d'embuscade à l'infiniment grand dont la griffe déchire, dont l'anneau enlace, où la feuille dissimule l'infiniment petit, dont l'invisible dard tue, un danger mortel menace toujours le voyageur sous une multiple forme. Aussi ses sens toujours en éveil, ne tardent-ils pas à acqué» rir une incroyable subtilité. Non seulement le sauvage habitant du pays de l'éternelle verdure, mais encore l'Européen, sait-il bientôt démêler instantanément tous les murmures de la nature, leur assigner une cause, en trouver même la direction, et arriver à en prévoir les effets. En dépit de son habileté, Robin assez perplexe ne savait que faire, et surtout que répondre à Nicolas, ignorant comme un Parisien des Bafignolles, de tout ce qui avait trait à la vie sauvage. Casimir se taisait, concentrant dans le sens de l'audition toutes ses facultés d'homme de la nature. Le bruit continuait, vague, peu intense, ininterrompu, commele bruissement d'une pluie fine sur les feuilles élevées, auquel se serait mêlé un imperceptible crépitement. Ce n'était ni le susurrement des écailles dans les tiges, ni. le murmure de l'eau qui monte, ni le ronflement d'une bande de pâtiras

s'ébattant

au loin. Peut-être eût-on trouvé quelque analogie avec le brouhaha bien connu produit par un nuage de sauterelles. En effet, c'est à peu près cela. Mais ce bruit, causé peut-être par la marche de milliards d'insectes dans les herbes, est plus aigu, en quelque sorte plus sec ; on dirait qu'il s'y mêle comme l'imperceptible craquement d'innombrables et microscopiques cisailles. — Ça fourmis, dit enfin le vieux noir, qui semble vivement contrarió,


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