Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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LES R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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Cela fait, il se dépouilla de sa blouse de toile, la bourra de feuilles, de façon à figurer tant bien que mal un homme accroupi, mit dans les bras de son mannequin une tige représentant une pagaye, et poussa son esquif hors du champ de verdure. La marée, qui se fait sentir à plus de quatre-vingts kilomètres de l'embouchure de l'énorme cours d'eau, montait. Le radeau fut saisi par le courant, qui l'entraîna lentement en lui imprimant un léger mouvement giratoire, vers le côté d'amont, mais en l'éloignant peu à peu vers la rive hollandaise. — C'est parfait, dit le fugitif. Je ne serais pas étonné que d'ici un quart d'heure au plus, mes gaillards, lâchant la proie pour l'ombre, ne se mettent à la poursuite de ce semblant d'embarcation. Le fugitif, estimant alors que le meilleur procédé pour se cacher était, aussi bien en plein pays sauvage, que dans les villes, de suivre les voies fréquentées, prit sans plus de souci le petit chemin frayé, sur lequel devaient indubitablement marcher ceux qui étaient à sa poursuite. Quant à pénétrer en plein bois, il n'y fallait pas penser. La forêt pouvait être un lieu de refuge, mais il était impossible à pareille heure de s'y frayer un passage. Tout en avançant avec d'infinies précautions, et en faisant d'inimaginables efforts pour ne pas troubler le silence de la nuit, Robin s'arrêtait de temps en temps, et tâchait de percevoir un bruit étranger au multiple murmure s'échappant de cet océan de verdure. Rien!... rien que le crépitement des dernières gouttes sur les feuilles miroitantes, que le mystérieux glissement des reptiles dans les herbes, que la marche silencieuse des insectes dans les tiges, ou l'imperceptible froufrou des ailes d'un oiseau mouillé. Il marchait toujours sous les voûtes sombres à peine bleuies [par la lune, à travers des essaims de mouches à feu, zébrant les ténèbres d'inoffensifs éclairs. Il arriva bientôt à une crique large de près de cinquante mètres, et qui porte le nom de crique Balété. Il s'attendait effectivement à rencontrer ce cours d'eau, tributaire du Maroni, et qu'il fallait au plus vite interposer entre lui et ses ennemis. Pour un nageur de sa force, franchir cette rivière, profonde de cinq mètres à son embouchure, n'était qu'un jeu. Avant d'opérer sa traversée, il s'arrêta, reprit haleine, et inspecta le rivage avec plus d'attention que jamais. Bien lui en prit, car un chuchottement de


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