Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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seul peut donc, en s'opérant sur un point unique, assurer la subsistance de plusieurs. Les proscrits, au contraire, manquant de tout, même des instruments de première nécessité, devaient créer de toutes pièces les choses indispensables à la vie. Il leur fallait manger et se vêtir, tirer, en un mot, des productions de la nature tous les éléments de l'existence. Un chapeau, une aiguille, un bouton, une feuille de papier, un couteau, sont des objets que l'on trouve partout et à peu de frais. Mais, à quelles difficultés presque insurmontables se heurtera l'homme isolé, perdu dans l'immensité, quand il sera forcé de confectionner ces menus bibelots. L'outillage indispensable à leur fabrication ne nécessite-t-il pas préalablement le fonctionnement de plusieurs industries? Robin ne désespéra pas une minute. Il avait en Nicolas un auxiliaire adroit, intelligent et zélé. Quant au lépreux, grâce à sa vieille expérience d'homme des bois, il était, par bonheur, un précieux appoint. Les trois hommes se mirent incontinent à l'ouvrage après le départ d'Angosso. Telle est l'incomparable fécondité de la terre équatoriale, qu'un abatis, abandonné quelques années à lui-même, est bientôt envahi par un inextricable enchevêtrement de lianes, d'arbres et d'herbes géantes. Les plantes alimentaires se mêlent aux végétaux parasitaires. Les uns et les autres se confondent, acquièrent un développement énorme, sans se faire le moindre tort d'ailleurs, mais en couvrant le sol, de façon que l'homme, submergé dans cette mer de tiges, de feuilles et de fleurs, ne peut ni faire un pas, ni cueillir un fruit. Il faut donc procéder avec méthode, sabrer, émonder, abattre, éclaircir, enlever non seulement les végétaux improductifs, mais encore choisir parmi le plantes utiles les plus beaux sujets et sacrifier leurs congénères dont la surabondance amène fatalement la stérilité. C'est en somme un nouveau travail de défrichement. S'il est bien moins pénible que celui qui consiste à tailler un domaine en pleine forêt, il n'en demande pas moins de patience que d'habileté. Les deux blancs et le noir com mencèrent donc par « débrousser » en grand. Nous conservons à dessein ce mot débrousser, employé par les colons guyanais, et qui implique parfaitement cette idée de nouvelle conquête opérée sur la broussaille. La petite colonie ne pouvait vivre indéfiniment de poissons boucanés, de bananes grillées ou de fruits de l'arbre à pain. L'usage trop fréquent de la banane surtout produit des troubles intestinaux se traduisant par un ballonnement du ventre et une rapide déperdition de forces. Le seul aliment pouvant remplacer le pain de froment est le manioc.


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