Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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LES R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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Il fallait, pour compléter son œuvre de libération, s'enfuir au plus vite, et mettre entre lui et ses ennemis une infranchissable barrière. Il s'arracha brusquement à la muette contemplation qui avait, pendant quelques minutes, succédé à son monologue, prit une nouvelle orientation et se remit en marche. Robin, depuis qu'il était au pénitentier du Maroni, avait vu s'accomplir plusieurs évasions. Aucune n'avait réussi. Ceux qui les avaient tentées avaient été repris par les surveillants, ou rendus par les autorités hollandaises, ou étaient morts de faim. Quelques-uns, préférant à cet épouvantable épilogue d'une tentative trop hasardeuse le régime du b a g n e , étaient revenus, agonisants, se constituer prisonniers. Ils savaient que les conseils de guerre leur imposeraient fatalement de deux à cinq ans de double chaîne. Qu'importe! ils revenaient quand même, tant est profondément invétéré chez l'homme l'amour de la vie, quelque misérable qu'elle pût être. Pour notre héros, il avait jadis fait bon marché de son existence, qu'il avait sans hésiter consacrée au triomphe d'une idée ; peu lui importait la mort. Il éviterait avec soin la rencontre des Hollandais. C'était facile. Il n'avait qu'à rester sur la rive droite du fleuve. La faim, il était homme à la braver. Sa vigueur athlétique et son indomptable énergie lui permettraient de tenir longtemps. S'il succombait... Eh bien! il ne serait pas le premier dont on retrouverait le squelette, nettoyé par les fourmis-manioc comme une pièce anatomique. Et d'ailleurs, il ne voulait pas mourir. Oh! non. Il était époux et père, ce vaillant que l'effroyable labeur du bagne n'avait pu abattre, que la misère n'avait pu dompter, dont la chiourme n'avait jamais fait baisser les yeux. Il voulait vivre pour les siens. Et quand un homme de cette trempe dit : « Je veux ! » Il peut. Restait l'hypothèse d'une poursuite bien dirigée, et à laquelle les plus fins limiers du pénitencier ne manqueraient pas de consacrer toutes leurs facultés. Eh bien ! soit. Puisqu'il était gibier, à lui de dépister les chasseurs. Il fallait d'abord, autant que possible, imprimer à leurs recherches une fausse direction. — Ils sont déjà à mes trousses, dit-il à part lui. La pensée que je veux gagner les établissements hollandais va tout naturellement leur venir. Laissons leur cette illusion, ou plutôt entretenons-la chez eux.


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