Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S D E LA GUYANE

lance, au récit des périls courus, des fatigues endurées. Elle détaillait à son tour les horreurs de la vie de misère subie à Paris, rappelait l'épisode de la lettre mystérieuse, les soins empressés et discrets tout à la fois dont elle avait été l'objet de la part d'inconnus, le voyage en Hollande, la traversée de l'Atlantique, l'arrivée à Surinam, les attentions respectueuses du capitaine hollandais qui parlait si bien le français. Robin écoutait ému non moins qu'intrigué. Quels pouvaient bien être ces bienfaiteurs ? Pourquoi ces précautions ? Pourquoi dissimulaient-ils comme me

une mauvaise action cet immense service ? M

Robin ne trouvait pas davan-

tage d'explication plausible. Elle avait encore en sa possession la lettre de l'homme d'affaires de Paris ; l'écriture ne leur révéla rien. L'ingénieur pensait, et non sans quelque raison sans doute, que des exilés, échappés aux commissions mixtes, avaient consacré leur temps et leur fortune au soulagement de leurs frères qui pliaient sous la chaîne du bagne. Un proscrit, célèbre entre tous, A... B . . . , avait pu se réfugier à la Haye ; peut-être y avait-il lieu de reconnaître son intervention dans l'évasion de Robin. Quant au capitaine du cotre, sa stature d'athlète, son urbanité, sa bonté, tout semblait le désigner au fugitif comme étant C..., un officier de la marine française, qui avait réussi à quitter Paris dans des circonstances dramatiques. C... avait pris du service dans la marine marchande de la Hollande. Il croisait, à n'en pas douter, en vue des côtes de la Guyane, épiant une occasion favorable de venir en aide à ses coreligionnaires politiques. Cette hypothèse était raisonnable entre toutes. Les deux époux l'admirent sans peine, tout en bénissant les auteurs de leur bonheur quels qu'ils fussent. Ce doux épanchement continuait, sans qu'ils eussent la moindre notion des heures écoulées. Les enfants dormaient, le Boni, attentif au boucanage, tronçonnait des branches et les jetait sur ses foyers quand ils pâlissaient. Cet homme semblait charpenté en bois de fer. Ni les fatigues de la journée, ni les recherches du bois-enivré, ni la manœuvre de la pagaye, ni la construction des carbets et des boucanés, rien enfin ne paraissait avoir de prise sur son organisme. Tout en continuant sa besogne, [il jetait de rapides regards, sous les sombres voûtes qu'ensanglantaient les brasiers ; il semblait inquiet, tourmenté. Un grondement sourd, accompagné d'un souffle puissant, lui fit dresser la tête. Ce bruit rappelait le ronron d'un chat, mais cent fois plus fort. Puis deux points surgirent des herbes bordant la clairière, et fixèrent les bou cans.


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