Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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l'eau de leurs nageoires paralysées, avec des gestes incohérents d'ivrognes. Les uns ont dix centimètres, les autres jusqu'à un mètre cinquante. L'embarcation se dirige vers le barrage où tous arriveront infailliblement poussés par le courant. Angosso, pour ne pas perdre de temps, assomme au passage d'un coup de sabre quelque aïmara récalcitrant, ou quelque requinmarteau, méchant animal auquel il en veut particulièrement. Plus on approche du barrage, plus le fourmillement devient épais. Les enfants, ravis, battent des mains. Les cris de joie retentissent. Le canot peut à peine passer, son étrave vient butter sur ce banc qu'Angosso entr'ouvre à grands coups de pagaie. C'est une fièvre, un délire, une véritable pêche miraculeuse. On aborde enfin, après une formelle recommandation de Robin, qui enjoint à ses fils de ne toucher aucun poisson, car un grand nombre sont dangereux, la piqûre de quelques-uns est mortelle. Il y a devant le barrage, plus de cinq cents kilos de poissons ivre-morts, Comment s'en emparer? Telle est la question adressée au Boni par Robin, car il ne faut pas penser à descendre dans la crique, au risque de mettre le pied sur une raie épineuse, ou d'être happé par un piraïe. Angosso sourit d'un air entendu, et déroule sans mot dire son grand hamac, tressé en coton par les Indiens Roucouyennes, aux larges mailles, aux rabans solides, dans lesquels sont passées deux longues amarres également en coton. Il le leste avec une pierre, le fait descendre au fond de la crique, tient une des amarres dans sa m a i n , confie l'autre à Robin qui comprend du coup, puis tous deux, réunissant leurs forces, tirent jusque sur la rive le hamac transformé en filet et plein à éclater de tous les échantillons de la faune aquatique de la Guyane. Les plus gros sont régulièrement assommés à coups de sabre au moment où ils quittent leur élément, et passent de vie à trépas comme les sectaires du Vieux de la Montagne après une copieuse absorption de haschisch. Le hamacfilet à peine vidé revient bientôt plein, et un véritable monceau s'élève, en dépit des protestations de Robin, qui dit que c'est assez. Poissons plats, poissons ronds, avec ou sans écailles, à la gueule hérissée ou aux mâchoires lisses, aux dards empoisonnés, aux anneaux de serpent, aux formes étranges, glissent, roulent, soubresautent.

Parassis (mugil

alba),

vieilles, louvines, mulets, turbots même qui ont remonté le fleuve, ainsi que le superbe machoiran-jaune (silurus mystus) aux reflets d'or, pesant dix kilos, aïmaras à la tête énorme, exquis en pimentade, koumarous à la graisse savou-


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