Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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LES R O B I N S O N S

DE LA GUYANE

Angosso se mit en devoir d'enivrer la crique. Quelques roches rougeâtres, criblées comme des éponges, appelées ici roches à ravets, émergeaient sur une des rives. Il s'accroupit sur l'une d'elles, saisit une botte de nikou, la trempa dans l'eau, l'assujettit sur une autre roche, et de sa main droite, armée d'un court et solide gourdin, frappa comme un sourd sur les sarments qui furent bientôt réduits en bouillie. La sève se répandit de tous côtés, et teignit les eaux en une belle couleur d'opale. — C'est tout? fît Robin. — Oui, mouché, reprit l'homme en continuant rapidement sa besogne. — Alors je puis t'aider, si ce n'est pas plus difficile que cela. Et, joignant l'acte à la parole, le proscrit s'empressa d'imiter son sauvage précepteur. Toute la provision y passa. Les eaux de la crique, devenues laiteuses, se mêlèrent bientôt en tournoyant lentement à celles du petit lac. Elles devinrent nacrées à leur tour. — Ah! ça bon bon. Nous qu'attendé morceau, caba. (C'est très bien, attendons un peu maintenant.) Le Boni, avec la sagacité particulière aux hommes de sa race, avait admirablement choisi son endroit. Telle était la configuration de son quartier de pêche, qu'il devait infailliblement trouver dans le lac, non seulement les poissons des eaux courantes, vivant dans la crique, mais encore ceux des savanes, ceux du Maroni et même quelques espèces habitant la mer, et que la marée amène jusqu'à ce point éloigné de près de vingt cinq lieues de l'Océan ; c'est-à-dire presque toutes les variétés de la Guyane. L'attente fut courte. Angosso, de son œil émerillonné, aperçut bientôt queljues points indécis, flottant au centre du lac, agité de légers remous. — Ça même... ou qu'à vini côté barrage. Robin voulait y aller seul et laisser sa femme et ses enfants à la garde de Casimir et de Nicolas, mais ils insistèrent avec tant de chaleur qu'il les emmena tous. Comme la forêt était impraticable, ils montèrent dans la pirogue. Quel singulier spectacle s'offre tout à coup à leurs regards. De tous côtés, le lac bouillonne. A l'avant, à l'arrière, à droite, à gauche du canot, des poissons de toute couleur, de toute nuance, de toute grosseur, montent du fond à la surface, s'éclipsent un moment pour remonter le ventre en l'air et flotter comme s'ils étaient morts. Ils ne sont qu'étourdis, enivrés par le nikou, incapables de fuir, de se cacher, de se défendre. Ils sont là, par milliers, ouvrant la gueule, dilatant leurs ouïes, battant


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