Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

Page 118

114

L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

Un nuage de sang s'étendit sur ses yeux. Une fièvre de meurtre lui monta au visage. Au risque d'entraver la fuite, il saisit le long fusil du Boni. L'arme était chargée à plomb. Le noir, devinant sa pensée, sortit de sa bouche deux balles qu il mâchonnait, et les fit glisser dans les canons. — Bandits sans cœur et sans entrailles ! cria le proscrit. N'avancez pas, ou je vous tue ! Les argousins dominés par son attitude, et craignant tout du désespoir d'un tel homme, abaissèrent leurs armes. Ils allaient d'ailleurs bon gré mal. gré être forcés d'interrompre leur chasse, car les bouillonnements de l'eau annonçaient la présence d'un rapide. La pirogue était en vue du saut Hermina. Le Boni Angosso était seul capable de remonter cette barre de récifs sur les quels le flot se brise et roule en cascades écumantes. En deux coups de pagaye, il vira sur place et se trouva à l'avant. Casimir et Robin se retournèrent sur leurs bancs pour nager de l'avant, et l'heureux père put enfin voir ses chers enfants et leur vaillante mère. Le petit Charles, inconscient du danger, battait des mains et paraissait ravi. Laissons les un moment au bonheur du premier épanchement, et expliquons en quelques mots comment Robin et le lépreux se trouvaient au saut Hermina, quand en réalité ils eussent dû l'atteindre seulement quatre heures au moins après leur sortie de la crique. C'était grâce à une confusion de nom que l'ignorance du proscrit relativement à la région géographique rendait suffisamment admissible. Le transporté Gondet avait été de bonne foi quand il lui avait dit que le cours d'eau était bien la crique Sparwine, mais il se trompait. Le chantier où il travaillait en qualité de chercheur de bois était détaché du pénitencier et situé à quinze kilomètres plus haut. Comme les hommes chargés de ces deux exploitations n'avaient entre eux que de rares communications, Gondet ignorait jusqu'alors l'existence de la première. Le petit chantier portant également le nom de Sparwine, le transporté en avait conclu qu'il tirait son nom de la rivière qui le traverse et qui s'appelle en réalité la crique de Sakoura. De là son erreur quant à la proximité du rapide. L'îlot qui porte le nom de Sointi-Kazaba se trouve à quinze kilomètres de la Sparwine et émerge en regard d'un autre cours d'eau situé sur la rive hollandaise. Ce cours d'eau était encore inconnu à cette époque, il a été dénommé seulement en 1879 crique Ruyter, par MM. Gazais et Labourdette, deux Français qui exploitent les terrains aurifères de la rive gauche du Maroni.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.