Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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« Et d'ailleurs, mon animal va essayer de franchir le Maroni, afin de se réfugier chez les Arouagues ou les Galibis. Il va suivre la rive. Je vais le pincer avant qu'il ait pu construire un radeau. « Pardieu ! Je devine son plan. C'est bête comme tout. D'autant plus que j'ai vu rôder avant hier quelques-uns de ces sales Peaux-Rouges près de l'abatis du Nord... « Attendez un peu, mes gaillards, vous allez avoir prochainement de mes nouvelles. « N'est-ce pas, Fagot, que nous allons leur parler du pays. » A ce nom de Fagot, un chien barbet, à figure hargneuse, aux poils hérissés, aux pattes courtaudes, à l'œil intelligent, sortit en s'étirant de dessous une table grossièrement équarrie. Fagot signifie « forçat » dans l'argot des bagnes, et Benoît avait trouvé ingénieux de donner ce nom au chien, qui partageait, à l'endroit des transportés, toute l'animadversion de son maître. Phénomène assez original et pourtant facilement explicable, les chiens des forçats haïssent non seulement leurs congénères appartenant à des hommes libres, mais ils accueillent ces derniers par des aboiements significatifs. Tel est le genre d'éducation que leur donnent leurs maîtres, telle est aussi l'intelligence de ces animaux de race indienne, aux oreilles droites, au museau pointu, à l'œil vif, à l'odorat infaillible, que le passage d'un blanc ou d'un noir libre, est toujours annoncé par eux. Réciproquement aussi, les chiens des fonctionnaires éventent le forçat à d'incroyables distances, et signalent à qui de droit sa présence par des cris véritablement sauvages. Bien plus, quand ces chiens de même race se rencontrent, il ne leur est pas besoin d'un temps bien long pour se reconnaître. Sans aucun de ces préliminaires habituels aux représentants de l'espèce canine, ils se précipitent l'un sur l'autre, ou plutôt, le chien libre attaque l'autre avec furie. Ce dernier, qui s'avançait, la queue basse, en rasant les buissons et les cases, avec l'allure familière à son maître, se retourne, une lutte terrible s'engage, et ce n'est pas toujours l'assaillant qui a le dessus. Benoît, qu'un séjour assez long en Guyane avait familiarisé avec le pays, était devenu un excellent chercheur de pistes. Aidé de son compagnon à quatre pattes, il eût pu rivaliser avec les plus habiles « rastréadores » de la Plata. Il emmena Fagot au casernement, décrocha le hamac du fugitif, le lui fit humer à plusieurs reprises en claquant de la langue, comme les chasseurs.


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