Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 1

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LES R O B I N S O N S DE LA GUYANE

navires n'ayant pas le vent favorable rester huit ou dix jours et plus en mer sans pouvoir presque avancer. Tel est l'inconvénient dont sont menacés nos passagers. Le courant a un nœud et demi de vitesse, soit deux mille sept cent soixante-dix-huit mètres à l'heure, le nœud étant de mille huit cent cinquante-deux mètres. Heureusement qu'une brise s'élève bientôt, une brise de l'arrière — cas tout à fait exceptionnel — qui permet au cotre de prendre le courant debout, et de faire, sous cette allure, environ quatre nœuds. La femme du proscrit, assise avec ses enfants sous la tente de l'arrière, regar dait d'un œil distrait le sillage du navire, insensible au tangage, au soleil même, comptant les minutes, franchissant par la pensée le court espace qui lui restait à parcourir. Les quatre petits supportaient assez bien la mer. Il n'en était pas de même du pauvre Nicolas, qui, pâle, livide, exsangue, les narines pincées, allongé sur un paquet de cordages, livrait à la nausée un inutile combat. Le léger bâtiment, bien appuyé par sa voilure, ne roulait pas, mais il tany

guait rudement sur les lames courtes, et le Parisien, que ce mouvement abrutissait littéralement, se croyait à chaque instant sur le point de rendre l'âme. me

Une voix arracha M

Robin à sa méditation. C'était celle du capitaine. Il se

tenait debout près d'elle, son chapeau à coiffe blanche à la main, dans l'attitude du plus profond respect. — Vous portez bonheur au Tropic-Bird,

madame ; car jamais traversée ne

s'est aussi heureusement annoncée. — Mais vous êtes Français, dit-elle, non moins stupéfaite de la correction de cette phrase que de l'accent de celui qui la prononçait. — Je suis capitaine d'un navire hollandais, reprit l'officier en évitant de répondre à la question. Dans notre métier, il faut savoir plusieurs langues. D'ailleurs, je n'ai aucun mérite à parler l'idiome de votre pays : mes parents sont Français. ; — Oh ! monsieur, puisque je trouve en vous un compatriote, puisque je parcours depuis de longs jours en aveugle cette route si mystérieusement tracée, dites-moi quelque chose... dites-moi comment je dois retrouver celui que je pleure et à qui je devrai ce bonheur? Que me reste-t-il à faire? Où me conduisez-vous ? — Madame, j'ignore d'où viennent les ordres auxquels je suis heureux d'obéir. Je m'en doute bien un peu, mais ce secret n'est pas le mien. «Tout ce que je puis vous dire, à vous, la vaillante épouse d'un proscrit, c'est


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