LES
R O B I N S O N S DE LA GUYANE
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riant tristement, cette boutade, envoyée tout d'une haleine, par un grand garçon d'une vingtaine d'années, dont l'inimitable accent trahissait un vrai Parisien du faubourg. — Et avec ça, continua le jeune homme, des singes et des perroquets dans toutes les maisons, ça braille ou ça dépèce tout. Quant à la langue des indigènes du cru... on croirait entendre un paquet d'Auvergnats parlant du pays, fouchtra. « Taki » « lougou » « lougou » « taki », on n'entend que ça. Mais pour comprendre, c'est
autre chose. Et la nourriture, du poisson sec comme des
semelles de bottes, avec de la bouillie, une espèce de p u r é e , qu'on frémit en la voyant. « Pourtant, tout ça c'est du vrai nanan, en comparaison du bonheur que nous a procuré le voyage. « Que d'eau ! bon Dieu ! Que d'eau ! Moi qui n'avais jamais passé le parc de Saint-Maur dans la belle saison, et qui ne connaissais que la Seine à Saint-Ouen !... « On dit que les voyages forment la jeunesse. J'espère que voilà de quoi former la mienne, de jeunesse. « Mais, je bavarde comme ce grand perroquet avec lequel j ' a i voulu jouer ce matin à « pigeon vole » et qui m'a croqué le bout du doigt. Tout ça, ça n'avance à rien, et je vais réveiller les enfants qui ont l'air de dormir pour tout de bon dans ces drôles de machines qu'ils appellent des hamacs. — Mais, je ne dors pas, Nicolas, dit une voix d'enfant sortant d'un hamac enveloppé d'une moustiquaire. — Tu ne dors pas, mon petit Henri, reprit Nicolas... — Moi non plus, dit une autre voix. — Faut dormir, Edmond. Tu sais bien qu'on dit qu'il faut rester au Ut dans le jour, parce que sans ça on a des coups e soleil. — Moi, je voudrais m'en aller voir papa. Je m'ennuie d'être toujours couché. — Soyez sages, mes enfants, dit à son tour l'inconnue. Nous partons demain. — Oh ! bien vrai, petite mère, que je suis donc content! — Est-ce qu'on ira encore sur l'eau, dis ? — Hélas ! oui, mon cher petit. — Alors, j ' a u r a i encore mal au cœur... Mais, après, je verrai papa. — Gomme ça c'est décidé, pas vrai, madame Robin? Nous quittons demain ce pays de négros qu'on appelle chez nous Surinam, parce que les gens du pays le nomment Paramaribo.