Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE

PITOU

d a n s u n e vaste c h a m b r e où trois cents p r é v e n u s de délits révol u t i o n n a i r e s étaient c o u c h é s q u a t r e par q u a t r e d a n s des lits en forme de t o m b e a u x '. L e s l o g e m e n t s de la C o n c i e r g e r i e étaient alors de trois s o r t e s , les c h a m b r e s de la pistole table,

mais

cachots

dont

les

où la vie était relativement

riches

seuls

qui ne s'ouvraient q u e p o u r

vider les

« g r i a c h e s » ou

absolument

pouvaient donner

suppor-

disposer;

les

la n o u r r i t u r e et

s e a u x ; les c h a m b r e s

pareilles a u x c a c h o t s , m a i s d'où

de

les

la

paille,

prisonniers

devaient sortir à h u i t h e u r e s du m a t i n p o u r ne r e n t r e r

qu'une

h e u r e avant le c o u c h e r du s o l e i l ; au reste, privés d'air, gisant sur des pailles p o u r r i e s ,

entassés d a n s le m ê m e t r o u , le nez

s u r leurs o r d u r e s , les m a l h e u r e u x se c o n t a m i n a i e n t

récipro-

q u e m e n t : c'était là le local réservé à A n g e P i t o u . C o m b i e n affreux p o u r lui fut le p r e m i e r j o u r de l'an 1 7 9 4 ! e r

Le i janvier, il faisait un froid cuisant; on nous fit descendre dans la cour ceintrée d'une haie de fer; les fenêtres du greffé du tribunal donnaient d e s s u s . A dix heures, Faverole et sa maîtresse montèrent au tribunal, en descendirent à o n z e . Faverole, en passant les mains autour du c o u , fit signe qu'il était c o n d a m n é à mort. Sa maîtresse le suivait de près, les yeux hagards, les c h e v e u x épars, les joues rouges : elle serra la main à plusieurs détenus en s'écriant : « N o u s allons à la m o r t ; ces juges sont d e s scélérats; v o u s y passerez t o u s . » Ce jour devait être marqué par d e s scènes d'horreur. E n me promenant sous les vestibules, je vis différentes figures peintes avec une liqueur brune; là était Montmorin, plus loin la fameuse bouquetière du Palais Royal qui avait mutilé s o n a m a n t ; au bas des figures on lisait ces mots tracés avec les doigts : « Cette figure est dessinée avec le sang des prisonniers du 2 septembre. » Pendant que je parcourais cette galerie funèbre, nous entendons un grand tumulte à l'occasion d'un détenu conduit à l'interrogatoire : un canonnier l'avait abordé en lui demandant s'il n'était pas MaratMauger, du département de l'Isère; sur sa réponse affirmative, ce canonnier l'avait saisi à la gorge e n lui disant : « T e souviens-tu, scélérat, d'avoir fait la motion d'enduire les prisons de matières combustibles pour brûler les détenus au premier signal? » Marat-Mauger, en descendant de l'interrogatoire, perdit la t ê t e ; on le mit dans un petit cachot pour le séparer des autres; il se brisa les dents aux barreaux, se déchira les bras et mourut de sufl'oquement et de désespoir. Ce spectacle é p o u v a n t a A n g e P i t o u et il en t o m b a 1. Ange Pitou. Voyage à (layenne. t. I. p. 157.

malade;


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