Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE

PITOU

triotes, on le croira sans peine, s'accommodaient assez mal de ces attaques et maintes fois la justice populaire, tenant ses assises dans les cafés et estaminets de la ville, eut à sévir contre l'audacieux : à son endroit on procédait de préférence par la voie de l'autodafé, avec a c c o m p a g n e m e n t de pillage des bureaux de rédaction et de rixes avec les r é d a c t e u r s ; brûler le Petit Gautier était un divertissement à la m o d e dans les différents cafés de la capitale, aussi bien dans la plus infâme guinguette populacière que chez F o y ou chez Zoppi Au n u m é r o 21 de la rue Percée, au-dessus des b u r e a u x du journal, logeait alors u n e sage-femme, et ce voisinage offrait les plus grands a v a n t a g e s ; le domicile des sages-femmes était, en effet, inviolable et trente fois les rédacteurs du journal se réfugièrent chez cette brave d a m e , « tandis q u ' u n e soldatesque effrénée dévalisait les b u r e a u x , s'amusait à b o u r r e r ses fusils avec les chandelles et à tirer dans les glaces et dans les meubles ». Les n o m s de ces rédacteurs ordinaires n o u s ont été d o n n é s par Ange P i t o u ; c'étaient J o u r g n i a c de Saint-Méard, Cassât, Leriche, M e u d e - M o n t p a s et quelques a u t r e s ; Gautier n'y mettait q u e son n o m et, dans le bureau de rédaction, on ne m a n q u a i t jamais de signaler aux d é b u t a n t s le n o m d'un i m p o r t u n qui venait, c h a q u e jour, q u é m a n d e r u n éloge ou u n e réclame p o u r ses pièces de théâtre, Collot d ' H c r b o i s . 2

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1. L'exécution accomplie, une des fortes tûtes du lieu en rédigeait un procèsverbal et l'on quêtait à la ronde pour le faire insérer dans une feuille bien pensante. Au reste, pour exaspérer plus infailliblement ses adversaires et débiter plus abondamment son papier, Gautier lançait dans les rues de Paris une nuée de colporteurs, d'aboyeurs qui hurlaient son journal avec les titres les plus sensationnels. Ce procédé fut par lui bientôt perfectionné et le Journal général de la Cour et de la Ville eut chaque jour deux éditions, l'une des colporteurs, l'autre des abonnés : celle-ci portait en téte quelque trait spirituel et satirique en prose ou en vers; cette « manchette » était remplacée, dans le numéro des colporteurs, par le sommaire, qui devait être crié par les rues, des articles, contenus ou non dans le journal. Par cela même, la rue Percéc-Saint-André-des-Arcs, où se trouvaient les bureaux du Petit Gautier, devint le quartier général du colportage : « A cette époque — écrit Ange Pitou — les colporteurs avaient adopté cette enceinte; toutes les nouveautés s'y distribuaient et chaque jour, depuis quatre heures du matin jusqu'à dix heures du soir en hiver et jusqu'à sept en été, plus de dix mille hommes étaient aux aguets pour acheter, troquer, vendre des journaux et des pamphlets pour et contre le Roi, l'Assemblée et les magistrats; les dames de la Cour déguisées y sont venues acheter plus d'une fois » (cf. Une Vie orageuse, t. I. p. 54). 2. Id. p. 58. 3. Id. p. 59.


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