Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ser nos forces; il étend ses ailes : Vincennes est cerné. Il semble vouloir passer la Seine, occuper les plaines d'Ivry et nous attaquer en même temps par Passy et par la Gare et les barrières de l'Hôpital et des Gobelins '; il nous tourne par Belleville et s'approche jusqu'au pied de Montmartre. On attaque et on se défend avec intrépidité; mais les jeunes guerriers des buttes Chaumont et de Montmartre se couvrent de gloire sur l'affût de leurs pièces. L'ennemi, admirant lui-même leur sang-froid, leur petit nombre et leur dévouement, regrette de voir la terre jonchée d'aussi intrépides guerriers. En commençant à se battre, nos vieilles bandes ont vu leur défaite, elles n'espèrent que dans l'arrivée de Bonaparte. Joseph et Jérôme ont établi leur quartier général à la Maison-Rouge, sur le premier mamelon de Montmartre. M. le comte Daru est avec eux. A chaque instant, les aides de camp et les officiers généraux viennent rendre compte des mouvements. N o u s perdons l'avantage à chaque minute. On sert à déjeuner aux deux lieutenants de Bonaparte ; ils mangent à la hâte, car le moment presse. Les officiers à la suite se partagent les reliefs du festin. Pour donner le change aux curieux, les deux Majestés envoient leur cour au télégraphe de la Montagne, où elles annoncent que les deux rois vont se rendre pour examiner les deux camps. Pendant qu'on les attend sur la pointe du rocher, ils filent tout bas par la plaine, regagnent la barrière et se disposent à partir par Blois. Dans ce moment, un aide de camp de Bonaparte vient d'arriver au bureau de la guerre. N'y trouvant personne, il se rend à Montmartre, d'où l'état-major vient de repartir. Cet envoyé, chargé de dépêches importantes, fulmine contre le secrétaire général. Il fait publier sur-le-champ que Bonaparte arrive; il est réellement à F o n tainebleau, à la tête de quelques troupes, qui ne peuvent plus se s o u tenir. Ces intrépides, après avoir marché pendant trente-six-heures sans reprendre haleine, se sentant épuisés à l'approche d'un danger aussi imminent, disaient en jurant après leurs bras et leurs jambes : « Quoi ! ces membres nous sont inutiles au moment où nous en avons le plus grand besoin ? » L'ennemi redouble d'ardeur, car il sait Où est Bonaparte ; et si Paris tenait vingt-quatre heures, il pourrait avoir une armée de renfort. V o y o n s ce qui se passe depuis ce matin dans l'intérieur de cette cité. Au point du jour, la générale a battu dans tous les quartiers sans étonner p e r s o n n e . Les commandants de légion ont envoyé frapper à toutes les portes; chacun a fait tranquillement ses provisions comme à l'ordinaire et s'est rendu à son poste ou à ses affaires. Il fait un

1. La barrière de la Gare était située au bout du quai de l'Hôpital, sur la Seine, au point terminus de l'hôpital de la Salpètrière, en face la barrière de la Râpée. Elle tenait son nom d'une gare, à moitié achevée mais dont le projet avait été abandonné, et qui était destinée à garer les bateaux.


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