Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

Page 254

230

ANGE

PITOU

p o i n t inquiété, peut-être m ê m e d'être partiellement remboursé de ses avances faites au n o m du Roi, et, quelle que fût la vivacité de ses sentiments royalistes, il lui eût fallu une âme bien noire p o u r oublier ce que Napoléon avait déjà fait pour lui. Le succès seul eût pu causer une telle obnubilation du sens moral, mais le succès était encore bien incertain, bien problématique ; combien de fois, depuis 1 7 9 5 , n'avait-on pas annoncé, prédit, certifié une restauration prochaine, et de quelles déconvenues avaient toujours été accompagnées ces chimériques prétentions ! qui pouvait affirmer que cette fois encore il n'en serait pas de m ê m e ? Ange Pitou était d o n c dans ce sentiment de lassitude politique, où l'on tient à contempler de loin les événements sans se risquer à en influencer le cours ni à en régler les états ; il vécut d o n c ces premiers mois de i 8 i 4 e n simple curieux (ce qui est a s s u r é m e n t la meilleure manière de goûter le plus complètement la vie), et il ne se départit point d'une réserve que lui conseillaient à la fois ses intérêts et son c œ u r . Il se contenta de noter au jour le jour les vicissitudes diverses de ce changement de régime : son témoignage semble parfaitement sincère et apporte u n e contribution très sérieuse à la connaissance de cette époque, qui a trouvé en M. H e n r y H o u s s a y e u n si magistral historien; à plus d'un titre la narration qu'il en d o n n e mérite d'être rapportée et peut être consultée avec f r u i t : 1

Le 17 février, jour du jeudi gras, au matin, quelques masques allaient courir les boulevards, lorsqu'un fort détachement de prisonniers des alliés traversa la capitale : arrivés sur la place Vendôme ou est la colonne de bronze, surmontée de la statue de Bonaparte, ces prisonniers expriment, par différents signes adressés à ce monument, le sort dont le héros qui la surmonte est menacé. Peu d'instants après, des bateaux de blessés arrivent par la Marne et sont répartis dans les hôpitaux, dans les grands hôtels et dans les tueries qui sont aux barrières. Dès le lendemain, une circulaire des douze maires de Paris est affichée. Dans les arrondissements, on demande des lits, des matelas, des draps, du linge pour les blessés : on invite toutes les dames a faire de la charpie. L'impératrice Marie-Louise, la reine Hortense, si aimée à cette époque, la bonne, l'excellente Joséphine et toutes les dames de la cour travaillent sans relâche et donnent un exemple que la sensibilité réduit en précepte obligatoire et en pratique univer-

1. Une vie orageuse,

t. III. p. 17g et suiv.


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.