Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE

PITOU

soignés et servant de case au directeur, de corps de garde aux milices blanche et noire ; dans le fond du vallon, i n o n d é par les torrents pendant la saison pluvieuse, le magasin, le four du boulanger, l'hôpital, la prison ; enfin, à peu de distance de la rivière, la case de Prévost, bousillée, lattée, blanchie et assez confortablement c o m p r i s e . Q u a n d son habitation personnelle fut prêle, Prévost m a n d a à Jeannet que tout était achevé, et que les déportés seraient convenablement dans les karbets ; c o n s é q u e m m e n t , en thermidor, le gouverneur prescrivit à Freytag, c o m m a n d a n t des postes de S i n n a m a r y et de K o n a m a n a , d'avoir à e m b a r q u e r p o u r cette dernière destination les déportés, qui n'avaient pas trouvé à se placer dans la colonie. Ces derniers étaient au n o m b r e de quatre-vingts, dont quarante malingres : on e m b a r q u a ceux-ci, et les autres, sous la conduite de Freytag, firent à pied les cinq heures de route qui séparaient K o n a m a n a de S i n n a m a r y ; quatre seulement purent fournir toute l'étape, les autres restèrent en route, et il fallut envoyer des soldats à leur r e n c o n t r e p o u r les rassembler et les sauver des a n i m a u x féroces. La situation ne tarda pas à devenir a l a r m a n t e : la mauvaise qualité des vivres avariés dans le magasin, l'eau saumatre et l'alimentation toute de salaisons a m e n è r e n t des maladies, et, au bout de quinze jours, l'hôpital et les karbets furent pleins de malades, a b o m i n a b l e m e n t exploités par les nègres et par l'administration, qui leur faisaient payer le poisson, au lieu de quatre sous, quarante sous la livre, et 12 francs u n couple de poulets. Les nègres particulièrement se m o n t r a i e n t d'une âpreté sans égale; ainsi ils d e m a n d a i e n t vingt-quatre sous p o u r extirper les chiques : « ces indigents, à qui on avait tout volé, en eurent une si grande quantité, que leur cadavre, encore vivant, tombait en lambeaux, rongé p a r l e s v e r s ; d'autres, attaqués de la dysenterie, ne pouvant se r e m u e r dessus leur cadre, exhalaient une odeur si infecte que personne n'osait s'en a p p r o c h e r . Ils périssaient dans ce déplorable état, les vers s'attachant aux parties internes déjà ulcérées et sanglantes . » E t , si quelque déporté s'avisait de se plaindre à Prévost de ces 1

1. Le 5 vendémiaire, le garde magasin Bcccard écrivait à ce propos : « Depuis la liberté nous ne pouvons mettre ce monde noir à la raison; ils rient entre eux, à notre nez, île ce désordre et nous disent dans leur jargon : « Ye ben fait vole bequet ca ye permi pa loi qui bail ye liberti » (nous faisons bien de voler les blancs, ça nous est permis par la loi qui nous donne la liberté).


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