Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE PITOU

d'indienne, de toile et de coton bleu, trois poignées de fil m é langé ; l'apport social était de cinq livres! S u r ce fonds, sept h o m m e s devaient vivre p e n d a n t trois ans ; m ê m e en A m é r i q u e , avec de pareils éléments, il était difficile de devenir rapidement millionnaire, et il était à c r a i n d r e , dans ces c o n d i t i o n s , q u e les fonctions de comptable à la case Saint-Jean ne fussent une simple s i n é c u r e . Les colons du pays suppléèrent de leur mieux à l'insuffisance de ces ressources, et, de deux lieues m ê m e de distance, on envoya aux déportés les secours en linge, les provisions et le mobilier, dont ils avaient besoin. L ' u n d'eux, n o t a m m e n t , se signala par sa générosité : c'était u n vieillard aveugle, n o m m é Colin, né à Caen, et qui avait épousé en premières noces une D u n o i s e ; Ange P i t o u retrouvait presque u n compatriote et l'excellent h o m m e traita les déportés c o m m e ses fils \ Au point de vue de la culture, le sol de K o u r o u était surtout favorable aux plantes indigènes; les ignames et les a n a n a s У prospéraient, mais les légumes y venaient difficilement; les semis ne devaient être faits que p e n d a n t l'hiver, et les avalasses les pourissaient ou les e n t r a î n a i e n t ; le soleil d'été brûlait t o u t ; le melon seul pouvait y être avantageusement cultivé. La forêt plutôt eût fourni la n o u r r i t u r e , car le gibier y était a b o n d a n t , mais au prix de quels efforts et de quels dangers pouvait-il être acquis ! Le tigre, le serpent grage, l'araignée crabe étaient une constante menace à qui s'aventurait dans ces lieux, et c'était au risque de la vie que la chasse pouvait s'y m e n e r . Les mille misères du climat étaient peut-être encore plus redoutées q u e ses d a n g e r s : on appréhendait plus les insectes que les tigres ; leur maléfice était, en effet, de tous les instants, et u n e négligence pouvait entraîner la m o r t . L ' h o m m e , dans ces climats, était à la merci d'un peuple de parasites, dont les tracasseries le poursuivaient sans trêve ni répit : la nuit, pour d o r m i r , il fallait déranger des c r a p a u d s réfugiés souvent p douzaines dans les couvertures ; la lumière éteinte, les m a r i n gouins, m o u s t i q u e s et makes faisaient leur tapage, et, p o u r se préserver de leurs d o u l o u r e u s e s p i q û r e s , le d o r m e u r devait se a r

i. Colin habitait depuis de longues années Kourou avec sa femme et sa fil le, et il était venu en Guyane avec la malheureuse expédition de 1 7 6 3 ; c'était un des rares survivants des i5,ooo malheureux, fourvoyés dans cette lamentable aventure.


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