Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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odieux du Directoire; il le fit, en essayant d'y apporter — sans pour cela c o m p r o m e t t r e sa situation — les très légers adoucissements que sa n a t u r e , qui n'était pas foncièrement mauvaise, lui suggérait. Sa conduite envers les déportés de la Décade ne fut pas sensiblement différente. Aussitôt après leur d é b a r q u e m e n t et l'exécution de ces formalités administratives, qui p o u r s u i v e n t les F r a n ç a i s m ê m e en deçà de la ligne, ils furent placés dans u n local assez délabré, appelé la Maison L e c o m t e , mais qui leur parut un palais après leur installation à bord de la frégate. Le règlement comportait u n appel soir et m a t i n ; le reste du t e m p s , u n e liberté assez grande leur était concédée, mais sous la surveillance de la milice noire. La n o u r r i t u r e n'était point mauvaise, ils avaient la ration de la marine, et les colons, qui envisageaient ces proscrits avec la plus grande sympathie , se faisaient u n plaisir de renforcer leur ordinaire et de leur envoyer quelques douceurs. x

Cayenne eût été p o u r les déportés le séjour le plus a g r é a b l e ; ils avaient là, en effet, des ressources variées, u n climat assaini par le voisinage des m o n t a g n e s , des relations de société, u n e vie presque aimable. Mais les intentions du Directoire étaient tout autres : l'influence, que ces h o m m e s distingués eussent pu prendre, les occasions d'évasion, que le m o u v e m e n t du port aurait facilitées, peut-être enfin la secrète pensée que le climat du pays remplirait sur ces e n n e m i s , affaiblis par les luttes p o l i tiques, les soucis m o r a u x et le rude régime de la traversée, l'office de la guillotine, qu'on n'osait employer o u v e r t e m e n t , toutes ces raisons firent écarter ce territoire. I. J.-.I. Aymé rend ce témoignage à la générosité des habitants de Cayenne : « A peine fûmes-nous arrivés que les habitans de Cayenne s'empressèrent de nous secourir. Ils nous envoyèrent toutes sortes de fruits. Informés que Plusieurs de nous avaient perdu leurs effets lors du pillage qui eut lieu sur la Charente, à l'époque du combat avec les Anglais, et que d'autres n'avaient que des habits d'hiver, ils leur firent parvenir une quantité assez considérable de linge et de vêtements du pays. Jamais on n'eut vainement recours à leur bienfaisance, ce fut toujours entre eux une émulation de zèle à nous obliger; et quand ensuite il nous fut permis de prendre des arrangements pour nous placer sur des habitations particulières, ils se prêtèrent Presque tous à favoriser ces établissements qui, le plus souvent, furent purement gratuits de leur part. Ces procédés étaient d'autant plus beaux, que, depuis la liberté des noirs, il y avait très peu de colons en état de faire des sacrifices. Ils étaient presque tous ruinés par la révolution. » (Déportation et naufrage, etc.)


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